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La neutralité du gouvernement est sérieusement menacée aujourd’hui

Femmes en foulard de dos., Bruxelles, 2017

Femmes en foulard de dos., Bruxelles, 2017

Le Tribunal du travail de Bruxelles a récemment condamné la STIB pour ne pas avoir embauché une femme musulmane en raison de son port du foulard. Une double discrimination, selon le juge : une discrimination directe fondée sur la conviction religieuse, mais aussi une discrimination indirecte fondée sur le sexe. De plus, l'argument selon lequel l'interdiction du foulard contribuerait à l'émancipation des femmes racisées a été réfuté. 

Loin d’avoir été bien accueillie par tous les partis politiques, la décision du pouvoir judiciaire indépendant a provoqué la contre-offensive d'imposer légalement une proposition de neutralité exclusive comme modèle à suivre.

Le principe de neutralité de l’État peut en effet être problématique pour des minorités. Elles n'ont pas besoin d'être convaincues de son importance. Elles savent mieux que personne que ce principe est censé leur garantir une égalité de traitement en matière de services publics.

La neutralité de l'État est nécessaire pour que tou.te.s les citoyen.ne.s puissent jouir de leurs droits. C'est encore plus vrai pour les personnes qui appartiennent à un groupe minoritaire en raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leurs convictions religieuses, etc.

La neutralité est menacée

Cette neutralité de l’État est aujourd'hui gravement menacée. Les citoyen.ne.s racisées sont sans cesse confronté.e.s à un manque d'objectivité de la part de l’État. Pensons par exemple aux nombreux rapports sur le profilage ethnique ou la violence policière ; ou encore aux nombreu.x ses citoyen.ne.s de couleur ou les femmes portant un foulard qui voient des bus De Lijn ou TEC passer sans les prendre à l'arrêt de bus.

Des études montrent également que les mesures d’activation les plus efficaces, qui augmentent les chances de trouver un emploi, sont moins proposées aux demandeu.r.se.s. d'emploi racisé.e.s par les intermédiaires de l’emploi. Et pourtant, bien que les minorités ethniques et religieuses soient aujourd'hui souvent les victimes du manque de neutralité des autorités, elles sont considérées dans ce débat comme la plus grande menace pour ce même principe.

Le principe de neutralité est un acquis important de la Révolution française. Celui-ci rompt radicalement avec un système politique dans lequel le pouvoir royal était une délégation divine. La liberté de religion et la liberté d'expression sont devenues des droits fondamentaux.

La séparation de l'Église et de l'État et la neutralité de l’État devaient garantir l'égalité des droits des minorités de confessions différentes face aux revendications politiques de l'Église catholique, très dominante à l'époque. Nous constatons avec regret qu'un principe qui a été introduit à l'origine pour protéger les minorités philosophiques est aujourd’hui invoqué pour exclure les minorités religieuses actuelles.

La neutralité sera inclusive ou ne sera pas

La neutralité ne vise pas en soi à exclure des personnes mais, au contraire, à leur garantir la même qualité de services publics et l'accès aux emplois publics en toute liberté et égalité. Les fonctionnaires ne peuvent pas faire de distinction entre les citoyen.ne.s sur la base de caractéristiques personnelles non pertinentes, comme un vêtement, et encore moins sur la base d'une conviction philosophique. Cela s'applique bien sûr également aux cadres de la fonction publique et au personnel de la gestion des ressources humaines qui décident qui embaucher. La neutralité de l’État ne peut et ne doit concerner que les compétences des fonctionnaires et la qualité du service rendu.

Si enfin, nous considérons la neutralité comme une compétence essentielle pour chaque fonctionnaire, il existe de nombreuses autres mesures de gestion des ressources humaines plus efficaces et plus appropriées que l'interdiction du port du foulard.

Il est possible de tester cette compétence de manière plus active lors de la sélection. On peut la renforcer par des formations. Elle peut être contrôlée par le biais de visites mystères et sanctionnée par une évaluation, des sanctions disciplinaires, voire un licenciement. À l‘aune des défis sociaux majeurs concernant le racisme et la discrimination sur le marché de l’emploi et dans la société d'aujourd'hui, une interdiction n'est pas appropriée, et totalement contre-productive par rapport à notre objectif de construire une société plus inclusive et plus respectueuse.

À juste titre, selon le tribunal dans l'affaire STIB, la liberté de religion est un principe constitutionnel qu'on ne peut pas bafouer impunément. En tant qu'employeur, il n’est pas permis de se retrancher derrière des client.e.s qui pourraient s'offusquer qu'une employée porte un foulard. Tout comme un employeur ne peut pas refuser de servir au comptoir une personne handicapée ou LGBTQI+ parce que les client.e.s ne veulent pas être servi.e.s par une telle personne. Cela vaut d'autant plus pour une institution publique. En ces temps, les autorités ne devraient pas manquer l'occasion d'utiliser leurs propres fonctionnements et services pour enseigner le respect et l’ouverture à l'égard des libertés constitutionnelles et des groupes minoritaires, mais aussi pour les faire respecter par leur propres citoyen.ne.s.

Vers une neutralité inclusive

Une interdiction du foulard, en revanche, envoie le message implicite aux citoyen.ne.s que les femmes musulmanes portant un foulard ne sont pas capables d’agir de manière neutre dans le service public. De cette manière, les autorités confirment les stéréotypes et les préjugés et contribuent activement à un climat de méfiance, de peur et de haine. La société inclusive ne se réalise pas toute seule.

La neutralité de l'État, c'est aussi oser résister aux demandes discriminatoires des client.e.s au nom de ses propres principes constitutionnels. La nomination d'une commissaire du gouvernement portant un foulard mérite donc d'être applaudie plutôt que d'être l'objet d'un théâtre politique et d'un jeu de procédures. Cela serait le signe d'un gouvernement qui prend enfin au sérieux son rôle d’exemple.

Les personnes sont une et indivisibles avec toutes leurs différentes caractéristiques : sexe, âge, handicap, orientation sexuelle, expression de genre... Si l’une d’entre elle porte un foulard, en raison de ses convictions religieuses, elle ne peut et ne doit pas être contrainte de l'enlever. Il nous a fallu des décennies pour faire en sorte que les personnes LGBTQI+ aient la possibilité de faire leur coming-out au sein de la fonction publique. Nous devons maintenant nous assurer qu'aucun nouveau groupe ne doive à nouveau se cacher.

La neutralité inclusive améliore la qualité du service, et tout le monde y gagne. Une fonction publique qui est le reflet d'une société diversifiée peut mieux servir ses citoyen.ne.s. C’est également positif pour garantir que les groupes qui, aujourd'hui, sous-utilisent souvent leurs droits, puissent plus facilement s'adresser aux services publics. Il suffit de penser aux défis que notre société rencontre avec toute la campagne de vaccination contre la COVID.

Il est difficile de trouver des membres de partis dans ce pays qui n'aient pas d'opinions tranchées sur l'interdiction du foulard. Or, c'est notamment à cause de l'inaction politique que les discriminations persistent et que des personnes appartenant à des minorités sont en attente, depuis plus de 30 ans, d'une décision pour faire respecter leurs droits fondamentaux. C'est pourquoi le rôle du pouvoir judiciaire est crucial. Le pouvoir judiciaire est un pouvoir indépendant au même titre que les pouvoirs législatif et exécutif.

Dans un État de droit démocratique, le tribunal peut trancher des discussions pour lesquelles aucun consensus n’a pu être trouvé par des moyens politiques. Nous espérons donc que les différents gouvernements de ce pays pourront enfin se saisir de cette décision de justice pour mettre en oeuvre une politique de neutralité inclusive pour leur propre fonction publique. Il est temps temps d’envoyer un message d’ouverture pour construire ensemble une société où chacun.e peut contribuer au bon fonctionnement de nos institutions tant pour le service qu’il ou elle reçoit, que pour celui qu’il contribue à fournir à l’ensemble de la population.

Une carte blanche signée par 18 associations belges antiracistes :

Cette carte blanche est personnel, la rédaction de Cité24 n’est pas à l’origine de ses contenus.

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