Site icon Cité 24

Sauvage d’Ath : la pression s’accentue sur les blackfaces de la célèbre Ducasse

Mouhad Reghif Bruxelles Pantheres Le Sauvage Ducasse d'Ath

Mouhad Reghif Bruxelles Pantheres Le Sauvage Ducasse d'Ath

Ce dernier dimanche du mois d’août, comme chaque année, a eu lieu la célèbre Ducasse de la ville d’Ath, en Belgique. Depuis 2019, cet événement folklorique est régulièrement pointé du doigt pour une raison précise : ses blackfaces.

Le collectif antiraciste décolonial Bruxelles Panthères, mais aussi rien moins que l’UNESCO ont dénoncé le personnage du « Sauvage », un homme blanc grimé de noir aux traits grossiers, enchaîné, avec un anneau dans le nez et au comportement incontrôlable. Au « Sauvage d'Ath » s’ajoute le « Diable Magnon », un autre homme blanc grimé de noir.

Bruxelles Panthères précise que sa lutte est antiraciste, et que son combat ne concerne pas que de la Ducasse d'Ath. Elle cite par exemple le « Père Fouettard » qui est présent un peu partout en Belgique, ou encore divers manifestations folkloriques (comme à Lessines). « Nous ne demandons pas mieux que de voir l'UNESCO, qui est d'accord avec nous sur toute la ligne, maintenir le label de la Ducasse. Pour cela, les personnages négrophobes doivent disparaître ». Bruxelles Panthères déclare que "son combat est pour la dignité de tous les êtres humains ».

Pour le collectif, il s’agit de négrophobie. De son côté le seul responsable politique à s’exprimer publiquement sur le sujet, le bourgmestre de la commune d’Ath, Bruno Lefebvre, estiment que la Ducasse « n’est pas raciste » et « que si le folklore doit évoluer, c’est aux Athois d’en décider ». L’association Bruxelles Panthères a subi des flots de menaces et d’injures, principalement à caractère raciste, sur sa page Facebook.

« Le problème est le blackface »

Le porte-parole de l'association antiraciste, Mouhad Reghif, se félicite, pour sa part, que les lignes ont bougé et que le terme de « négrophobie » soit accepté, bien que « cela soit insuffisant ». « Le problème est le blackface », pour Bruxelles Panthères. « Si le Sauvage n'était pas maquillé et restait blanc, cela ne posera pas de problème, même avec ses attributs (...) Nous espérons que la Ducasse garde son label UNESCO, qui est de notre côté, par ailleurs »Enfin, Bruxelles Panthères ajoute : « Nous exigeons que le blackface devienne illégal en Belgique ».

Cela fait déjà un certain nombre d’années que la Ducasse d’Ath fait polémique au sein de la société belge. Les autorités communales athoises et les organisateurs de cet événement annuel majeur de la ville wallonne n’en ont cependant pas encore fini avec cette polémique pour autant.

Ainsi, « pour calmer les esprits » d’après le bourgmestre Bruno Lefebvre, le Sauvage a, au début de cette Ducasse de 2022, retiré publiquement ses chaines et son anneau nasal. Il les a retirés le temps de la cérémonie devant les caméras mais s’en est rapidement réaffublés pour le reste de la parade. Pour le collectif Bruxelles Panthères, c’est un premier pas, mais cela reste bien entendu tout-à-fait insuffisant.

Interview de Mouhad Reghif, porte-parole du collectif Bruxelles Panthères.

L’UNESCO lance une enquête

La polémique autour du personnage du Sauvage a largement dépassé les frontières du royaume puisque l’UNESCO s’en est saisie. À la suite du premier courrier de Bruxelles Panthères, l’agence onusienne chargé de la science de l’éducation et de la culture a interpelé les autorités fédérales et communautaires francophones belges pour leur demander des explications et les inciter à mettre la Ducasse en conformité avec la Convention sur le patrimoine culturelle et immatériel de l’UNESCO.

Dans le cas contraire, la ducasse risque de perdre son label comme le carnaval d’Alost avant elle. L’ONU a également pointé du doigt la pratique généralisée du «’blackface » à deux reprises au moins, dans ses rapports sur la situation des Afrodescendants en Belgique.

Le collectif Bruxelles Panthères a envoyé sa première lettre à l’Unesco en 2019. Depuis, l’organisation internationale prend le taureau par les cornes. Elle s’est rangée très nettement du côté du Bruxelles Panthères il y a trois ans et l’est encore aujourd’hui. L’inscription de la Ducasse au Patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO pourrait être remise en cause.

« Être noir, ce n’est pas un travestissement »

Cette année, le 10 août, le collectif a envoyé un second courrier à l’UNESCO en se désolant de l’immobilisme, selon lui, des responsables politiques communaux, régionaux et nationaux ainsi que de celui de la société civile en général. « Après plus de deux ans de pandémie mondiale et deux ans après le mouvement mondial Black Lives Matter à la suite de l’assassinat de George Floyd, la position des autorités athoises et des communautés organisatrices de la ducasse n’a pas bougé d’un iota ».

Le collectif a également écrit : « Leur souhait est de continuer à produire un personnage négrophobe dans un événement populaire patrimoine immatériel de l’humanité qui rassemble des dizaines de milliers de personnes, dont une grande part d’enfants, pendant plusieurs jours ».

Le sociologue Eric Fassin, s’était exprimé en 2017 dans le journal Le Monde au sujet du phénomène du blackface. « Être noir, ce n’est pas un travestissement, ce n’est pas pour rire, c’est une condition, prise dans une histoire raciale », avait-il déclaré.

« Notre folklore n’est pas raciste » dit le bourgmestre d’Ath

Pour Bruno Lefebvre, le bourgmestre d’Ath, l’UNESCO n’a rien à dire sur l’évolution éventuelle du personnage du « Sauvage ». Selon lui, il n’est pas question de remettre en cause l’existence de ce personnage emblématique, même s’il fait polémique. Il s’en remet à une possible adaptation de la loi dans le futur, affirmant ainsi le caractère autorisé, puisque non interdit, du « Sauvage d'Ath » (et par extension du Diable Magnon, deuxième blackface, moins connu, de la Ducasse d’Ath).

En effet, ce dernier a déclaré à ce sujet : « Si le blackface est devenu imbuvable dans notre pays, que les parlements s'en saisissent et se mettent d'accord sur l'interdiction du blackface, mais on ne peut pas faire porter à la population athoise les difficultés liées au blackface ».

De leur côté, selon un sondage lancé par les autorités communales d’Ath, les habitants semblent bien partagés et divisés quant au personnage du « Sauvage » grimé de noir. En effet, pas moins de 40 pour cent des Athois interrogés (un échantillon de 1300 personnes) disent comprendre que le Sauvage puisse heurter la sensibilité de certaines personnes et communautés, et même choquer.

Injures à l’égard du collectif antiraciste Bruxelles Panthères

Le collectif Bruxelles Panthères, qui est une des figures de proue du combat contre le blackface en Belgique en général et contre le « Sauvage d’Ath » en particulier, dans une démarche antiraciste, fait état des propos à caractère raciste à son encontre sur les réseaux sociaux.

Parmi ces commentaires, on a pu lire celui de T.DS. qui a écrit : « Vous êtes contents ? Bande de blaireaux, ça vous avance à quoi, vous croyez que c’est ça qui va empêcher les gens d’être racistes ? Au contraire, tout ce qu’on veut, c’est que des gens comme vous dégagent de notre pays et laissent notre folklore tranquille ».

D’autres ont écrit, à l’instar de l’internaute F.V., leur désir de « répliquer ». « Pour l'année prochaine ou alors au mois de septembre à la kermesse des Culants à Deux Acren, je propose de tous mettre notre figure en noir, pour leurs faire comprendre à ses arrières qu'ici on est chez nous et que c'est notre folklore ».

Certains ont écrit des appels à quitter le territoire belge, s’inscrivant dans la tradition raciste classique. On a pu lire, par exemple : « si vous êtes pas d'accord avec notre culture et bien retourner de où vous venez. À bon entendeur salut. » ou encore « Pauvres types!!! Que venez-vous faire chez nous? Bousiller nos traditions et notre folklore ???? Ici nous sommes en Belgique et fiers de notre pays qui vous accueille généreusement avec nos impôts ! Alors si ça ne vous plaît pas... ».

Le collectif Bruxelles Panthères a ignoré la plupart des commentaires publiés sur son mur Facebook. Il a seulement épinglé une capture d’écran d’un commentaire qu’il a souhaité mettre en avant. Ce commentaire, signé F.V., un membre et ancien candidat du PP (Parti politique d'extrême droite) ; disait : « J’appellerai toujours un noir un noir, un jaune un jaune (…) ».

« Quand un collectif identifié comme étant composé de musulmans/arabes s'en prend à la négrophobie dans les folklores belges, non seulement ce collectif déclenche une explosion de commentaires négrophobes mais en plus de ça, il provoque aussi une explosion de réactions islamophobes. Comme on peut le voir sur cette photo. Et comme on l'a déjà vu à Lessines avec les poursuites entamées contre Bruxelles Panthères et Nordine Saidi pour "menace dans un contexte terroriste" alors que nous avions simplement envoyé deux emails de sensibilisation au bourgmestre », conclut Mouhad Reghif.

D’autres ont opté pour une autre démarche, celle de la carte blanche dans les médias. C’est ce qu’a fait l’Athoise Colette dans le journal sensationnel Sudinfo, ce dimanche 28 août. Elle se dit « désenchantée » du fait que le Sauvage d'Ath soit « déchaîné » (au sens où il n’aura plus ses chaînes). En tout état de cause, ces commentaires laissent entrevoir que la problématique est loin d’être terminée. Affaire à suivre.

Quitter la version mobile