Ce jeudi 6 janvier, le Tribunal correctionnel de Tournai a prononcé l'acquittement du militant antiraciste. En sa qualité de dirigeant de Bruxelles-Panthères, Nordine Saïdi était poursuivi pour "menaces" et "harcèlement". Plus de trois ans de procédure absurde qui se concluent par une double victoire : judiciaire et politique...

Intervenu ce matin, en moins d'une heure, l’acquittement de Nordine Saïdi (Bruxelles-Panthères) n'est pas passé inaperçu dans les médias belges francophones. De la RTBF à Sudpresse en passant par L'Avenir, la dépêche Belga relatant la relaxe de l'activiste bruxellois a fait son (petit) bonhomme de chemin. Un réflexe journalistique à noter concernant une affaire scandaleuse qui, à l'origine, n'avait intéressé que très peu de média belgo-blancs...

Pour rappel, une plainte pour « menaces » et « harcèlement », initiée par le Bourgmestre de Lessines, Pascal De Handschutter (PS), est déposée en 2018 contre Nordine Saïdi. Contre toute logique, celle-ci finit par déboucher sur le renvoi en Correctionnelle du fondateur de l’association Bruxelles-Panthères. Ce 6 janvier, les juges ont finalement reconnu la légalité de l’activisme décolonial contre l’un des folklores négrophobes wallons. Autrement dit : l'antiracisme politique de Bruxelles-Panthères ne constitue en rien une "menace". Et le Tribunal de Tournai d'estimer également que l’envoi de deux courriers ne relève pas du « harcèlement » ; d’autant que ceux-ci ont été adressés à Pascal De Handschutter et non au plaignant, l’Asbl Marché Nocturne des Culants.

"Par tous les moyens nécessaires"

L'affaire remonte précisément à septembre 2018. Au nom de Bruxelles-Panthères, Nordine Saïdi écrit au Bourgmestre et aux conseillers communaux de Lessine pour demander l'annulation de « La sortie des nègres ». Soit une tradition folklorique, qui se déroule lors de la Ducasse des Culants, durant laquelle plusieurs habitants - hommes, femmes et enfants - font des « blackfaces », en tenues pseudo-africaines, pour raviver le stéréotype colonial du « sauvage ».

Le courriel de Nordine Saïdi reste sans réponse. L'activiste renvoie un second mail qui se termine par cette phrase :
"Je vous annonce donc que nous serons nombreux à venir à Lessines, afin de sensibiliser les habitants et les participants sur les pratiques racistes du Blackface, et en particulier celle de "La Sortie des Nègres", que nous tenterons de faire annuler par tous les moyens nécessaires."

C'est à la lecture des mots empruntés à Malcolm X - « Par tous les moyens nécessaires » - que le pouvoir socialiste à Lessines va paniquer et surréagir, selon ses fantasmes coloniaux et islamophobes. En prévention d’un imaginaire attentat, les Autorités annulent l'entièreté de la Ducasse des Culants ! Des renforts policiers sont dépêchés sur place. Satellite du pouvoir communal, l’asbl Marché Nocturne des Culants dépose une plainte contre Bruxelles-Panthères... 

Bienvenue en absurdie judiciaire

Selon le mayeur socialiste De Handschutter, un tel repli défensif était amplement "justifié". Voici ce qu'il en disait, le 13 juin 2019 : "Je considère que les écrits reçus par l'ensemble des membres du conseil communal sont des menaces proférées dans un contexte terroriste avec gravité puisqu'elles annonçaient une venue sur place, une pression supplémentaire pour faire annuler l'événement par tous les moyens nécessaires. Ces propos sont annonciateurs d'événements graves".

Devant la Chambre du conseil, l'avocate de Nordine Saïdi, Me Selma Ben Khelifa, plaidera le non-lieu. En vain. Les magistrats de cette juridiction d'instruction estimeront "les charges suffisantes" pour ouvrir un procès en Correctionnelle. Instance judiciaire devant laquelle Nordine Saïdi risquait jusqu'à 5 ans de prison... Avant cela, Me Ben Khelifa nous avait confié ceci : "Si la Jurisprudence belge retient l'envoi de 2 mails à des politiciens comme des menaces et du harcèlement, eh bien : Amnesty International et d'autres associations ont bien du souci à se faire ; car c'est leur pratique quotidienne, l'envoi de courriels, pour exercer une pression politique".

De son côté, Me Joris Winberg, l'avocat de l'asbl Marché Nocturne des Culants, ne cache pas sa déception au micro de Cité24 : "Nous avons soutenu que les deux mails envoyés par Monsieur Nordine Saïdi aux Autorités communales de Lessines constituaient une menace ; à savoir une crainte sérieuse qui avait provoqué une vive inquiétude dans le chef de ma cliente ainsi que dans celui des Autorités communales [...] Le Tribunal ne nous a pas suivi et a donc acquitté Monsieur Saïdi. Après concertation avec ma cliente, nous envisagerons ou non un appel devant la Cour d'appel de Mons".

Bruxelles-Panthères, politiquement seul dans son combat

L'Asbl Marché Nocturne des Culants dispose d'un mois pour interjeter appel. Si ce dossier judiciaire semble se terminer, il faut néanmoins souligner que celui-ci ne fût possible sans un double déni raciste. Un double réflexe, colonial et islamophobe, que l'activiste Khadija Senhadji avait déjà parfaitement résumé en 2020 : "En assimilant un militant antiraciste au terrorisme - parce qu'identifié comme arabe et musulman -, le bourgmestre Pascal De Handschutter se dédouane de répondre à la question de fond qui lui est posée sur le Blackface. Or, s'il y a bien une analyse intersectionnelle qui vaille, c'est celle consistant à comprendre comment une autorité publique parvient à conforter le racisme d'État, en articulant d'une seule manœuvre habile négrophobie et islamophobie."  

Ce qui nous conduit à un autre aspect dérangeant de cette affaire : le silence politicien blanc et afro-descendant. On aurait pu attendre de certain.e.s ténors, dits "antiracistes", cohérence ou courage politiques contre la persistance de ce folklore négrophobe belge. Qui inquiète jusqu'à l'Unesco. Qui fût stigmatisé par les médias du monde entier durant tout l'été 2019...  Non, rien, nada ! Pendant plus de trois ans de procédure, Ecolo, PTB, CDH et MR ont regardé ailleurs. Idem pour plusieurs députés bruxellois afro-descendants, élus ou réélus lors du dernier scrutin régional 2019.

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Dans un communiqué de presse non triomphaliste, Nordine Saïdi ne dit pas autre chose : "Bruxelles-Panthères se réjouit que le tribunal, à la suite du réquisitoire du Ministère Public, mette finalement en échec les tentatives d'étouffement de l’interpellation politique. En l’espèce, une interpellation du Conseil Communal de Lessines, tous partis, tendances, genres, couleurs incluses, etc., a fini en Correctionnelle ! MR, Ecolo, PS, CDH, Droite, Gauche, Centre, l’ensemble du Conseil Communal ne se sont jamais opposés à cette tentative." Et le militant antiraciste d'ajouter : "Que cette affaire soit allée aussi loin et que les ressources des appareils policier et judiciaire aient été mobilisés, pendant de nombreux mois, est en soi un problème. Même si l’issue d’aujourd’hui est favorable, cette affaire n’aurait jamais dû mobiliser un Tribunal correctionnel".

Quand la justice sonne juste

Ce qu'a enduré le citoyen Nordine Saïdi - cette intimidation politique par voie judiciaire visant à le sanctionner et/ou à le faire taire - n'a effectivement pas inquiéter les CDH Pierre Kompany, Gladys Kazadi ou, bien sûr, Bertin Mampaka (désormais au MR). Cela n'a pas non plus inquiété les écologistes Barbara Trachte ou Kalvin Soiresse Njall. Ni encore les députés bruxellois du PTB Youssef Handichi ou Petya Obolensky.

On nous dira que ces édiles bruxelloises et, majoritairement, afro-descendantes avaient d'autres "chats à fouetter". Or, dénoncer l'abusif et raciste procès en Correctionnelle de Nordine Saïdi ainsi que soutenir ce dernier participait, et participe, de la décolonisation des esprits. S'inscrit directement dans cette lutte contre l'arabo-négrophobie structurelle belge ; une réalité oppressive qui continue de discriminer, de reléguer et de tuer dans les commissariats de notre pays...

A travers cette plainte politicienne abusive, c’est en réalité l’antiracisme politique qui était visé. Avec lenteur, la justice a fini par siffler "la fin de la recré" et reconnu la légalité de la remise en cause du système raciste dans la pratique du Blackface. Un signal reçu 5 sur 5 par Nordine Saïdi qui appelle à "continuer à dénoncer le folklore négrophobe, antisémite ou islamophobe par tous les moyens nécessaires".

Enfin, la décision rendue, en ce jour d'épiphanie, fera jurisprudence et demeure hautement susceptible de redonner confiance aux citoyen.ne.s belges d'origine africaine en la justice de leur pays.