Ce lundi 11 octobre, Le Soir publiait les résultats d’une “enquête” tendant à montrer qu’une partie significative des livreurs de repas qui travaillent à Bruxelles pour les plateformes de livraison telles que Deliveroo ou Uber Eats sont des travailleurs sans-papiers.
L’information, reprise par un certain nombre d’autres médias, n’a pas tardé à susciter des réactions notamment dans le champ politique. Le cabinet du Ministre fédéral de l'Économie et du Travail, Pierre-Yves Dermagne, a ainsi expliqué que le statut “Peer to Peer” de l’économie collaborative aurait facilité le développement du travail irrégulier sur les plateformes. Le Ministre prévoit à cet égard une réforme législative avant la fin de l’année. Du côté des organisations syndicales, on plaide depuis déjà un certain temps pour un statut de salarié en faveur des livreurs, ceci, afin prétendument de sécuriser leurs conditions de travail (incluant revenu horaire garanti, congés payés, meilleure assurance contre les accidents du travail et révision à la hausse de la rémunération).
Où sont les débouchés pour les travailleurs sans-papiers ?
Le souci de ces revendications est que, si elles pointent à juste titre les conditions de travail déplorables dans l’économie de plateforme et le manque de protection sociale dans ce secteur, elles font cruellement l’impasse sur les conditions de survie dans lesquelles les travailleurs sans-papiers sont placés de manière structurelle et le risque d’asphyxie économique auquel ils seraient réduits s’ils venaient à perdre les débouchés - même médiocres - que leur offrent aujourd’hui les plateformes. Ceci est d’autant plus vrai dans un contexte où l’accès au marché du travail régulier est rendu purement et simplement impossible pour les personnes sans-papiers, à la faveur de la réglementation sur le permis unique qui conditionne l’octroi d’un tel permis depuis la Belgique au séjour légal.
Le discours martelé autour de la nécessaire amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes et, plus spécifiquement, des travailleurs sans-papiers, ne livre à ces derniers aucune perspective conséquente d’intégration dans le marché régulier du travail. Au contraire, il tend plutôt à masquer les enjeux de voie d’accès et de circulation des sans-papiers sur le marché du travail.
La transposition de la directive sanction, une solution dangereuse ?
Le seul horizon que ce discours propose est celui dessiné par la directive sanction (directive 2009/52/CE) dont la transposition permettrait de définir les normes minimales en matière de sanctions aux employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier tout en garantissant une protection aux sans-papiers dénonçant leur employeur jusqu’au traitement de leur plainte. La directive sanction n’offre dès lors une promesse de déjouer - temporairement, le temps de la plainte - le piège de la clandestinité dans lequel les travailleurs sans-papiers se retrouvent coincés, qu’à la condition qu’ils se livrent à des pratiques de délation à l’encontre de leur employeur.
En impliquant les travailleurs sans-papiers dans la construction d’une figure supposément dangereuse du “patron exploiteur”, la directive sanction risque ainsi non seulement de les priver de revenus professionnels à très court terme mais aussi d’accroître le racisme pénal à l’encontre des entrepreneurs issus de l’immigration postcoloniale, dont on peut supposer qu’un certain nombre se montrent plus enclins à employer des sans-papiers au bénéfice d’une proximité dite “communautaire”.
Après cette communication, des effets scabreux et immédiats ?
Il est d’ores et déjà établi que les logiques de sécurisation induites par la seule perspective d’amélioration des conditions de travail des sans-papiers conduisent à des bouleversements dans l’organisation du travail au sein de l’économie de plateforme.
On peut déjà constater une tendance à l’augmentation des prix de location des comptes pour l’accès aux plateformes en raison de contrôles beaucoup plus fréquents. Les sites où les coursiers sans-papiers sont concentrés sont par ailleurs impactés, induisant des modifications au niveau des itinéraires empruntés et donc une diminution des revenus journaliers puisque les courses sont dépendantes de l’articulation algorithmique entre la présence de commerces et la capacité de déplacement des coursiers. Ces bouleversements risquent de s’accroître avec les velléités de réforme du Ministre fédéral de l'Économie et du Travail.
A cela semblent s’ajouter des effets de répression accru depuis les révélations médiatiques autour de l’enquête du Soir. Les témoignages de coursiers sans-papiers confrontés plus fréquemment à des dispositifs de contrôle policier commencent en effet à affluer depuis le début de la semaine. Ces contrôles intempestifs apparaissent comme étant la conséquence directe de la médiatisation survenue il y a quelques jours autour du phénomène d’occupation de travailleurs sans-papiers dans l’économie de plateforme, d’autant plus que les communications médiatiques ont eu tendance à effacer les revendications de ces travailleurs concernant l’accès légal au marché du travail au profit d’une mise en lumière des seules pratiques professionnelles illégales.
Les solutions envisagées par le Collectif des travailleurs sans-papiers ?
Dans ce contexte, il apparaît indispensable de penser les leviers politiques et réglementaires liés à l’économie de plateforme dans une articulation étroite avec les réalités matérielles des travailleurs sans-papiers, au risque sinon d’accroître les dispositifs de criminalisation à leur encontre et de les fragiliser davantage sur le plan économique. Une telle démarche doit intégrer deux dimensions fondamentales :
Le risque de mort économique auquel sont soumis les travailleurs sans-papiers dès lors qu’il est question de réguler les secteurs dits collaboratifs. Pour amoindrir les effets de précarisation accrue sur ces personnes, il est vital de penser un système de caisse de cotisation alimentée notamment par les acteurs syndicaux afin de résorber les pertes de revenus générés par une déstructuration du marché irrégulier.
L’impossibilité systémique pour les travailleurs sans-papiers de pouvoir intégrer le marché du travail régulier, et ce, même dans les métiers en pénurie. A cet égard, il importe de poursuivre le travail de fond en faveur de l’accès de ces travailleurs au marché du travail légal dans la continuité des revendications des collectifs de sans-papiers.
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