Mathis, un jeune homme noir de 9 ans, a été soumis à un plaquage ventral le mardi 5 septembre dans l'après-midi, dans une école spécialisée de Nalinnes. Sa mère, encore sous le choc après avoir assisté à une scène d'une horreur indicible, déclare : "Mon fils est un George Floyd qui est resté en vie".
Les faits se sont déroulés le mardi 5 septembre, dans l'après-midi, au sein de l'école primaire d'Enseignement spécialisé de Nalinnes. Victime de propos négrophobes en provenance d'un autre élève de son école, Mathis a très vite réagi en confrontant ses enseignants pour qu'ils "punissent l'élève qui m'a traité de sale noir". Observant attentivement et en attente d’une réaction de ses professeurs, Mathis, désemparé, s’est dirigé vers l’élève responsable des dires négrophobes et a tenté d’obtenir de sa part des explications et des excuses. Les enseignants présents ainsi que la direction, gravitant avec apathie autour de la scène, n’ont pas cherché à régler la situation dans ce qu’elle avait de gravissime, mais ont plutôt choisi de rappeler à l’ordre Mathis, alors qu’il cherchait uniquement du soutien.
Pris de court, il nous affirme s’être énervé au moment où il lui apparaissait que les enseignants n’allaient pas prendre sa défense : “J’ai demandé s'ils comptaient faire quelque chose, mais comme d'habitude, je n'ai pas eu de réponse" (…). On m'a alors dit de rester calme et d'attendre, ce que j'ai fait.”
Sujet à un profond sentiment d'injustice, Mathis a alors tenté de mettre fin à l'agression dont il était victime en interpellant l’élève pour susciter l’intérêt de ses enseignants et pour qu’ils finissent par réagir en conséquence. Les enseignants ont assisté à toute la scène et, selon Mathis, ont appelé la police quelques minutes après son interpellation de l’élève. Une équipe de la zone de police Germinalt est arrivée quelques minutes après le début des hostilités négrophobes et a décidé d’isoler Mathis. Contemplant avec crainte la police, il dit ne pas avoir compris pourquoi une telle présence était nécessaire : “J’observais la police et je me demandais ce qu'ils faisaient là alors qu'il s'agissait juste d’un élève qui m’avait traité de sale noir (…).” Et la mère répond pour lui : “C’est parce que tu es noir, mon fils, si tu avais été blanc, cela ne se serait jamais passé comme ça”.
L’école va alors opérer comme cadre de normalisation de la négrophobie et agir comme s’il fallait défendre l’élève coupable d’une infraction aux yeux du code pénal, au détriment de la principale victime définie par les modalités du racisme scolaire comme le bourreau par excellence. Il ne s'agit plus ici de condamner le responsable et l’absence de prise en charge de la part de l’établissement, mais bien de criminaliser le sujet de la négrophobie scolaire jugé "incontrôlable" et "indomptable".
D'après sa maman, Mathis aurait été pris de panique à la vue de la police et aurait demandé qu’on la contacte pour qu'elle puisse l'assister le plus vite possible. La direction de l'établissement tente alors de la contacter sans succès. Rita Nkatbanyang, la mère de Mathis, nous confirme que l'école a bien essayé de la contacter, mais elle dément l'information selon laquelle elle aurait été injoignable : "J'ai été appelé une première fois par l'école à 14h23, je n'ai pas pu répondre puisque mon téléphone était en train de charger. À 14h24, mon compagnon a été contacté par l'école pour qu'il vienne récupérer Mathis. Il a demandé à pouvoir parler avec lui mais les professeurs ont refusé. Sans voiture à sa disposition, il a dit qu'il se débrouillerait pour venir le récupérer. À 15h33, j'ai rappelé l'école en leur signalant que je prenais la route. À 15h43, j'ai pris un taxi et me suis dirigée vers l'établissement."
Le compagnon de Rita, corroborant la version précédente, confirme : "J'ai voulu demander à Mathis ce qu'il se passait, mais les policiers ont refusé tout contact entre nous. Je leur ai dit que sa mère était en chemin et qu'ils devaient simplement l'attendre."
Après cet appel téléphonique, les choses se sont rapidement intensifiées. Mathis a alors été écarté des enseignants, plaqué violemment contre le mur, puis plaqué au sol pendant de longues minutes, ce qui lui a coupé le souffle. Le policier chargé d'administrer la technique, qui avait déjà conduit à la mort tragique de Lamine Bangoura, un Belgo-Guinéen, le 7 mai 2018, et dans l'affaire mondialement connue de George Floyd, le 25 mai 2020, a alors menacé Mathis, encore sous le choc, en disant, je cite : "Je n'hésiterai pas à répéter cette technique si ta mère fait preuve d'insubordination."
Un George Floyd évité par l’intervention salvatrice d’une mère
Pris d'une excitation rappelant combien le temps morbide des colonies continue à imprégner la vie contemporaine des populations noires en Belgique, le policier somma la mère de rester à l'écart et continua à exercer sa technique, qui semblait le conforter dans son sentiment de suprême puissance. La scène, filmée par la mère, montre un policier en train de brutaliser le corps d'un jeune homme noir âgé de 9 ans, incapable de réagir et soumis à la volonté divine du policier.
Assistant avec une retenue stratégique à l'intensité du racisme dont son fils fut la victime, la maman a alors tenté d'entamer un échange avec le policier, mais sans succès. Elle nous dit avoir craint pour la vie de son fils : "J'ai cru que mon fils allait mourir"(…). "J'ai gardé mon calme et demandé à mon fils de faire de même pour qu'ils ne finissent pas par le tuer".
Une autre policière présente sur les lieux de cette expulsion négrophobe a contribué à rendre cette scène encore plus malsaine. Sa participation humiliante, frôlant l'insanité, s'est résumée à une attaque visant à culpabiliser Mathis, déjà exclu du statut de victime. Elle lui dit, je cite : "Mathis, maintenant que ta maman est là, vas-tu te calmer ? Parce qu'apparemment, tu es sage avec maman à la maison, n'est-ce pas ? Tu insultes maman à la maison ?". Rompant avec cette inquisition en cours, Rita a répondu : "Il ne m'a jamais insultée".
Cette démonstration de dignité a été immédiatement interrompue par la policière, qui a conclu l'échange en rejetant tout rapport mère-fils, en terminant par un mortel : "Je m'adresse à lui, madame !". Par cette affirmation cinglante, la policière a effectué un geste de séparation effroyable, qui a effacé toute autorité parentale de Rita. Mathis est ainsi transformé par l'activité brutale de la négrophobie policière en un sujet coupable qui n'a plus besoin d'être considéré comme l'enfant de sa maman. Il est désormais une personnalité connue des services de police et pourrait à l'avenir être condamné s'il commettait la moindre infraction d’ordre à l’école.
Selon le parquet de Charleroi, un procès-verbal à charge de Mathis pour indiscipline et mise en danger de mineur a été dressé par le préfet de police censé coordonner la tenue de cette affaire. Une plainte de la police, contre Rita Nkatbanyang, n’est pas exclue. Ces derniers considèrent qu’elle se serait rendu responsable, en filmant la scène et en la diffusant sur les réseaux sociaux, d’un bashing policier, ternissant à l’occasion l’image de la police. L’établissement se garde également le droit de poursuivre Mathis pour les dommages causés par l’intervention et s’engage à la mise en place d’un protocole de gestion interne, pour je cite : “pouvoir gérer à l’avenir ces situations d’une extrême violence”.
Pour l’heure, rien n’a été mis en place pour remédier aux manquements de l’école dans la gestion de la négrophobie dont a été victime Mathis. Il ressort clairement que le dispositif policier ne représente jamais une mesure adaptée et proportionnée à ce type de situation. Des mécanismes de gestion interne et des sanctions visant l’absence de réactions des professeurs devraient à l’avenir guider les politiques orientant la lutte contre le racisme à l’école spécialisée. Une interpellation de la ministre de l’enseignement, Caroline Désir, au parlement bruxellois, réalisée par le député écologiste, Kalvin Soiresse, devrait voir le jour dans les prochaines semaines et visera à restituer les responsabilités des corps enseignants dans la reproduction de la négrophobie. Il n’existe actuellement pas de véritable définition du problème, et l’affaire de Mathis démontre les limites et les déficiences de la gestion éducationnelle du racisme structurel en Belgique. Ces mesures mineures ignorent complètement les dégradations quotidiennes dont sont victimes les vies noires et leurs impacts sur "la probabilité de mort" (cf: Léonard Harris).
D’après le philosophe Norman Ajari, la question de la santé, de la durée et de la qualité de vie, sert de clef pour identifier la nature de cette dégradation propre au racisme. « Le racisme est toujours fonction d’une perte indue en termes de vie ou de santé. […] La probabilité de la mort définit le racisme : qui meurt, qui bénéficie de ces morts, qui voit sa vie indûment écourtée, et où sont les cibles des abrègements de la vie » Dès lors, le racisme scolaire agit comme un dispositif de perpétuation de l'abrègement des vies noires, décrit par Norman Ajari comme le socle historique du maintien du suprématisme blanc. La Belgique, en tant que structure étatique, n’est pas exempte de cette rationalité gouvernementale forgée depuis ses premières missions esclavagistes. Condamnée à de nombreuses reprises par des textes internationaux, elle est, en raison de la persistance de sa négrophobie, un pays visé par des controverses alimentées par une diaspora subissant les manifestations actives du racisme structurel.
Par conséquent, la négrophobie est manifestement à l’origine de ce que Mathis et sa mère ont vécu dans un établissement spécialisé, imprégné aux conditions historiques du racisme d'État belge.
La communication du parquet de Charleroi abonde dans le sens d’une reproduction de cette négrophobie, puisqu'il déclare que les policiers intervenus ne seront pas poursuivis. Tout est ainsi mis en place pour présenter Mathis comme pleinement coupable d'une colère jugée indomptable par l'établissement scolaire. La direction, estimant que l'intervention policière a été effectuée de manière bienveillante, rejette la version de la mère, bien que la vidéo confirme le caractère extrêmement violent de l'intervention policière. En effet, une scène montrant un policier de plus de 80 kg posant son genou sur la partie supérieure du dos d'un garçon de 9 ans ne peut être interprétée autrement que comme une scène d'une violence inouïe.
L'insensibilité visible dans l’interprétation imposée par l’établissement scolaire est la conséquence de cette négrophobie normalisée dans l’école. Mathis, dans les derniers moments de l’interview, nous rapporte que ce n’est pas la première fois qu’il est victime de négrophobie dans son école. Je cite : “Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive, on m’a déjà insulté de sale noir (…). J’avais déjà prévenu mes professeurs et la direction, mais ils n’ont jamais rien fait.” Pourquoi cette pratique récurrente ne produit-elle pas de réponse politique à la hauteur des enjeux et des risques pour les populations victimes ? Qu’est-ce-qui expose Mathis à devoir se mettre en danger pour finalement prétendre à un semblant de justice ? Pourquoi les enseignants n’ont-ils pas adopté un comportement visant à sanctionner l’élève ayant traité de sale noir Mathis ? La problématique du racisme à l’école est-elle réellement prise au sérieux ? Quid de la responsabilité politique derrière ?
Le racisme comme régime d'inattention
À l'évidence, ce régime d'inattention face aux conséquences réelles du racisme entraîne une diversification de ses modes d’existence. En entravant la formation de dispositifs de responsabilisation face à la reproduction du phénomène, le racisme se retrouve imperceptible et donc ignoré dans ses effets sur les victimes. Mathis, qui aurait dû être soutenu par ses enseignants, a été rendu coupable pour avoir lutté contre le racisme. Depuis cet incident, Mathis n’est plus en mesure de retourner à l’école. Il a été placé en incapacité de travail renouvelable pour la semaine. Il est profondément troublé et choqué par ce qui lui est arrivé.
Jusqu'à présent, aucun suivi psychologique, politique ou associatif n'a été proposé. La famille se garde le droit de contacter le Directeur Général aux Droits de l'Enfance (DGDE), Solaymane Laqdim, ainsi que d’entamer des poursuites à l’encontre des policiers.
La famille espère que cet acte ne restera pas impuni et que justice sera rendue.