Jeudi, l'ambassadeur d'Israël a révélé dans un tweet avoir rencontré la co-présidente d'Ecolo, Rajae Maouane. Le représentant de l'Etat colonial y remercie la jeune femme pour une rencontre "importante" et leur dialogue "porteur d'avenir". Retweet de Maouane : "Un beau moment d'échange"... Si la démarche fait silence du côté des inconditionnels d'Israël, celle-ci n'a pas manqué de choquer les défenseurs des Palestiniens.
Qu'on le veuille ou non, ce tweet énigmatique mobilise un temps pas si lointain. Dans un contexte politique belge bien précis... Souvenons-nous : le 11 mai dernier, plusieurs partis (CD&V, PS et Ecolo) de la coalition Vivaldi pressaient le gouvernement fédéral de sanctionner Israël. En cause : l'énième flambée de répression ultraviolente exercée contre les Palestiniens ; des expropriations de Jérusalem-Est aux bombardements de Gaza.
Trois partis belges pour des sanctions
Il y a plus d'un mois donc, Els Van Hoof (CD&V), présidente de la commission des Relations extérieures de la Chambre, brandissait le contenu de l'accord gouvernemental belge sur le dossier israélo-palestinien. Plus particulièrement cet extrait : "Le gouvernement travaillera sur une liste de contre-mesures efficaces et proportionnées en cas d'annexion du territoire palestinien par Israël et sur une possible reconnaissance en temps utile de l'État palestinien".
Par la voix de son député Malik Ben Achour, le PS exhortait la Belgique et l'Union européenne à "aller au-delà des postures et des condamnations de principe ! La radicalisation israélienne rend les déclarations de principe totalement dérisoires ! Nous devons agir rapidement en posant des actes forts, en mettant en œuvre l'accord de gouvernement. Il est urgent d'établir une liste de sanctions, y compris économiques, efficaces contre la politique d'annexion des territoires palestiniens et d'approfondir les mesures de différentiation pour exclure les colonies israéliennes des relations bilatérales entre Israël, la Belgique et l'Union Européenne."
Enfin Ecolo appelait aussi à des sanctions contre Israël. "C'est un engagement clair dans l'accord de coalition. Les réactions tièdes de la communauté internationale n'ont rien donné. Cette impunité doit cesser", déclarait le député écologiste Simon Moutquin devant le parlement fédéral. Les Verts ont aussi réclamé la reconnaissance de l'État palestinien, avec Jérusalem-Est comme capitale, et une politique différenciée entre Israël et les territoires occupés.
Une Belgique "lâche et hypocrite"
Asphyxiée par les vrais pilotes de la coalition Vivaldi (Open-VLD, MR et Vooruit), l'agitation verbale des trois autres partis ne donnera rien. Mais elle suffira à faire sortir de ses gonds Emmanuel Nahshon, l'ambassadeur d'Israël en Belgique. Squattant les plateaux télés et radios, sans aucune contradiction palestinienne, c'est sur celui de LN24 que l'ambassadeur de l'Etat colonial va dépasser les bornes. En qualifiant la position belge à l'égard de son pays de "lâche" et "hypocrite". A la question d'un éventuel cessez-le-feu, Nahshon en rajoute dans l'ironie cinglante : "Il n'y a aucun cessez-le-feu. Ils [le Hamas] nous lancent des roquettes depuis 24 heures ! Que faire ? Ne pas réagir ? Attendre que la Belgique vienne nous aider..."
Au lieu de s'offusquer de l'impudence de Nahshon, la plupart des médias belges francophones préfèreront se ruer sur l'odieuse diversion lancée par Joël Rubinfeld. Le président de la LBCA (Ligue Belge Contre l'Antisémitisme) et activiste sioniste d'extrême-droite instrumentalisera une story pro-palestinienne postée sur Instagram par Rajae Maouane. Selon Rubinfeld, le post de la co-présidente d'Ecolo inciterait au "passage à l’acte antisémite" et constituerait "le point d’orgue d’un dévoiement antisémite constaté depuis plusieurs années dans le chef du parti des Verts". La vile manoeuvre est connue depuis des lustres : pour éviter le débat de fond, accusez "d'antisémitisme" le messager ou la messagère.
"Une polémique qui n'a aucun sens"
Tout ceci semblait s'éteindre jusqu'au... tweet posté, ce jeudi, par Emmanuel Nahshon. Si l'objectif de l'ambassadeur d'Israël semble clair, celui de la co-présidente d'Ecolo, beaucoup moins. Cité24 a donc sollicité Rajae Maouane pour une interview. Sans succès.
Voici ce que son porte-parole nous a répondu : "C'est amusant, il y a environ 3 semaines, elle était traitée d'antisémite par l'extrême-droite israélienne et, aujourd'hui, elle serait anti-palestinienne ? Non, ce n'est pas parce qu'on discute avec l'ambassadeur israélien que, pour autant, on va virer notre cuti. Pour trouver des solutions, ça passe forcément par un dialogue entre les deux parties, aussi éloignées soient-elles. La discussion entre eux a été cordiale et tous les sujets ont été abordés comme la question des colonies. Voilà. On ne va pas donner suite à cette polémique qui n'a aucun sens. Les positions de Rajae sur cette question ne souffrent d'aucune ambiguïté."
Décrédibilisation
Un son de cloche qui ne risque pas de convaincre Henri Goldman, essayiste, ex-membre d'Ecolo et ancien rédacteur en chef de la revue Politique. Sur son profil Facebook, Goldman n'y va pas par quatre chemins : "Désolé, Rajae Maouane, mais ça ne passe pas. Tu n'aurais pas rendu une visite de courtoisie à l'ambassadeur de Hongrie, par solidarité avec les LGBTQI+ que son Etat discrimine gravement. Le sort du peuple palestinien écrasé ne mérite-t-il pas au moins autant d'égards ? Avec ce tweet ridicule qui n'aura de toute façon aucun effet auprès des inconditionnels d'Israël qui t'ont déjà bien classée, tu décrédibilises l'engagement de nombreux membres, sympathisants et parlementaires de ton propre parti. Ils ont l'air fin, maintenant."
Au-delà de ce ton paternaliste dont Goldman ne parvient décidément pas à se départir, sa critique est bien celle d'un compagnon de route. D'ailleurs, lorsque Maouane affrontait la shitstorm médiatique concoctée par Rubinfeld, Henri Goldman fût parmi ceux, peu nombreux, à défendre publiquement la coprésidente d'Ecolo : "Mon association, l'UPJB [Union des Progressistes Juifs de Belgique], avait publié avec l'ABP [Association Belgo-Palestinienne] un communiqué de soutien à Rajae Maouane injustement accusée d'antisémitisme, et je ne le regrette pas. Et puis patatras, une mise en scène de civilités avec le représentant d'un Etat qu'il convient selon moi de boycotter vient tout embrouiller."
Ce qui amène le vieux briscard des cénacles politico-bruxellois à ajouter : " Je connais de nombreux membres d'Ecolo qu'une telle mise en scène doit faire enrager, mais qui n'en diront rien pour ne pas affaiblir leur coprésidente. Comme je ne suis plus membre de ce parti depuis une douzaine d'années – même si je l'ai soutenu lors des dernières élections bruxelloises – , je n'ai pas les mêmes obligations".
"Rajae, mais qu'est-ce que tu fais ?"
Le statut FB de Goldman attire tant les "sidérés" que les déçus, tel Hamid Mamaar : "Rajae Maouane rencontre l'ambassadeur d'un pays qui pratique l'apartheid alors même que Simon Moutquin est l'objet de diffamation de la part de Joël Rubinfeld à la commission des affaires intérieures de la chambre qui était chargée d'examiner la proposition de loi sur les milices privées. Joël Rubinfeld, ami de Avigdor Liberman, était appelé à titre d'« expert » par le ... MR ! Rajae, mais qu'est-ce que tu fais ? Au lieu de soutenir le courageux combat de Simon Moutquin, tu choisis de répondre à la convocation de l'ambassadeur israélien, Emmanuel Nahshon, qui pendant le bombardement de Gaza a tenu des propos injurieux envers notre pays et qualifié les participants de la manifestation du mois de mai 2021 'd'islamo-fascistes'... Quel manque de convictions..."
Rédacteur pour le journal Ensemble du CSCE (collectif Solidarité contre l'exclusion), d'Arnaud Lismond Mertes s'interroge et conclut à la "faute": "Qu'allait-elle, en tant que co-présidente, faire dans cette galère? Que signifie un "beau moment d'échange" avec un ambassadeur d'Israel en 2021 ? Quelqu'un peut-il l'expliquer? Le plus simple est de reconnaître une faute." Plus cinglants, mais du même tonneau, le commentaire de l'historien Maxime Dussart : "Certains plaident l'erreur de commuication. C'est à mon avis plutôt une erreur de fond. On ne normalise pas un état d'apartheid, de colonisation et d'occupation. On le boycotte." Ou celui de Mouhad Réghif, porte-parole de Bruxelles-Panthères : "C'est comment un bel échange avec le représentant d'une entité coloniale suprémaciste, raciste et pratiquant une politique d'apartheid ?#lahonte "
En attendant la photo avec Abdalrahim Alfarra
Evidemment mal pris, le parlementaire écologiste Simon Moutquin a tenté un recadrage à l'adresse d'Henri Goldman : "Henri, je bosse pour le Parlement, matin, midi, soir et nuit, fidèle à mes convictions, je l'espère, de manière cohérente. Rajae est co-présidente de parti, elle fait ses choix en fonction de réalités qui ne sont certainement pas les miennes au Parlement, mais je ne pense que ces choix décrédibilisent mon travail et donnent l'impression d'avoir l'air fin.". Et le député fédéral de prudemment préciser : "Je n'ai pas commenté ce que j'en pensais. Je contredis juste l'idée que cette rencontre rend mon travail caduc".
D'après nos informations, Rajae Maouane projette une future rencontre avec le Représentant de la Palestine à Bruxelles, Abdalrahim Alfarra. A n'en pas douter, un autre "beau moment d'échange" voire, peut-être, "porteur d'avenir". Même si chacun voudrait connaître l'exacte portée de ses "échanges" et en quoi ceux-ci pourraient-ils contribuer à une amélioration concrète du sort tragique et injuste fait aux Palestiniens ?