Rassemblement à la Gare du Nord ce samedi 29 janvier pour Ibrahima.

Le 9 janvier 2021, Ibrahima Barry, jeune bruxellois d'origine guinéenne, était arrêté aux alentours de la Gare du Nord après avoir filmé une intervention policière auprès de migrants, puis emmené en cellule. Moins de deux heures plus tard, il décédait dans des circonstances qui sont encore à éclaircir.

Un an après les faits, la famille et les proches du jeune guinéen réclament encore vérité et justice sur les circonstances de sa mort. Le collectif Justice pour Ibrahima appelait au rassemblement ce samedi 29 janvier "pour qu'enfin la famille puisse pleurer son enfant sans que plane sur elle l'ombre du mensonge, de l'injustice et du mépris et qu'Ibrahima soit réhabilité dans sa dignité". Cité24 était présent.

La grammaire de l'inversion de la culpabilité au service du blanchiment des policiers

Si les circonstances exactes de la mort d'Ibrahima restent encore à définir, la rhétorique justificative des policiers incriminés, usant de manière cynique et éhontée d'un renversement de la culpabilité, s'aligne directement avec le champ rhétorique systématiquement mobilisé par les récits des policiers coupables d'assassinats pour leur propre blanchiment et repris par les parquets.

En effet, les policiers avaient d'abord justifié l'interpellation du jeune par le prétendu non-respect par celui-ci du couvre-feu - tentative aisément démentie, le décès d'Ibrahima ayant été prononcé à 20h22, soit plus d'une heure trente avant même le début du couvre-feu. Ils ont ensuite allégué une anomalie cardiaque révélée par le rapport d'autopsie, omettant de mentionner la suite du rapport spécifiant que cette anomalie ne pouvait néanmoins pas être tenue pour seule cause de la mort de la victime. Enfin, le décès d'Ibrahima serait dû à l'ingestion de stupéfiants ; affirmation erronée et démentie entièrement par les rapports toxicologiques.

Lire aussi : Affaire Ibrahima : des témoins racontent l’arrestation du jeune (VIDÉO)

Selon le comité Justice pour Ibrahima, "ces mensonges ont pour but d'activer ce réflexe déshumanisant de se questionner sur ce qu'Ibrahima aurait bien pu faire pour mériter ce sort, de chercher la faute dans le comportement de la victime [...]. Refusant de prendre leurs responsabilités dans les manquements évidents dont ils ont fait preuve, ils veulent en plus salir la mémoire d'un citoyen, victime de leur violence, ils veulent salir l'honneur d'une famille qui porte déjà la douleur de la perte d'un enfant".

Du monopole de la violence légitime au droit au racisme légitime

Ces récits à charge des victimes construisent par anticipation une justification des moyens utilisés par les forces de l'ordre. Criminalisation, pathologisation (voir le syndrome du "délire agité" mobilisé pour justifier l'intervention musclée ayant causé la mort de Jozef Chovanec le 25 février 2021 dans la zone aéroportuaire de Charleroi), dangerosité immanente des corps noirs (voir Le Soir écrivant à propos de Lamine Bangoura qu'il était "plus Lukaku que Messie", soutenant ainsi la construction policière de l'image du Lamine grand et à la force physique surhumaine nécessitant l'intervention de huit policiers qui a causé sa mort le 7 mai 2018), consommation de drogues et d'alcool (avérée ou factice, voir les morts d'Ayoubi Alobe le 12 janviers 2022 ou de Mohamed Amine Berkane le 12 décembre 2021, toutes deux dans des circonstances troublent impliquant la police), fuite face aux forces de police : tout est mobilisé pour rendre les victimes de violences policières coupables de leurs propres morts.

Devant cette supposée immanence de la dangerosité des corps noirs et arabes, la proportionnalité de la violence utilisée ne peut dès lors être remise en cause. La multiplication des non-lieux faisant suite aux enquêtes pour meurtres policiers nous montre que l'instruction par les proches et le comités de soutien d'un contre-récit est nécessaire pour contrer l'articulation préfabriquée des blanchiments policiers, et pour "restaurer le statut juridique de victime aux morts" (Nordine Saidi et Anas Amara, "Retour sur l’assassinat de Mohamed Amine Berkane").