Vingt-deux ans et demi de prison. C'est le verdict rendu contre l'ex-policier blanc Derek Chauvin pour le meurtre de l’afro-américain George Floyd. Une peine qui se hisse à la hauteur de l'effroi planétaire qu'avait provoqué ce crime policier raciste, filmé par la courageuse témoin Darnella Frazier.

Treize mois, jour pour jour, après la mort par asphyxie du quadragénaire afro-descendant, le juge Peter Cahill a prononcé, ce vendredi, une sentence très attendue : “Le tribunal vous condamne à la détention pour une période de 270 mois, soit dix ans de plus que la peine” que prévoit le barème du Minnesota.

Généralement, le barème des peines pour un meurtre dans cet Etat américain équivaut à 12 ans et demi de prison. Mais le juge Cahill a retenu plusieurs facteurs aggravants. En étouffant George Floyd avec son genou, Derek Chauvin "a abusé de sa position de confiance et d’autorité" et s'est comporté "avec une grande cruauté", a estimé le magistrat.

L’avocat de la famille Floyd, Ben Crump, a salué une décision judiciaire "historique". D'après lui, celle-ci devrait permettre aux proches de George Floyd comme à tout le pays "de faire un pas de plus vers la réconciliation", après treize mois de débats et polémiques intenses sur la violence policière raciale aux Etats-Unis.

"Nouvelles informations" ?

Durant l'audience précédant le verdict, le meurtrier a présenté ses “condoléances” à la famille de sa victime. “À cause de questions légales en suspens, je ne suis pas en mesure de faire une déclaration formelle à ce stade mais je tiens à présenter mes condoléances à la famille Floyd”, a déclaré l’ex-policier de 45 ans, lors sa première prise de parole publique depuis la mort de George Floyd. De façon très énigmatique, Derek Chauvin a ajouté : "Il y aura à l’avenir de nouvelles informations, que j’espère intéressantes et qui vous apporteront de la tranquillité d’esprit”...

Pour sa part, la famille Floyd avait demandé à la justice de retenir "la peine maximale” contre l'ex-policier ; c'est-à-dire 40 ans de prison. “Qu'aviez-vous en tête quand vous vous êtes agenouillé sur le cou de mon frère alors que vous saviez qu’il ne représentait aucune menace ?”, lui avait notamment demandé le frère de la victime, Terrence Floyd.

Le courage de Darnella Frazier

Pour rappel, le 25 mai 2020 à Minneapolis, Derek Chauvin arrête George Floyd qu'il soupçonne d’avoir utilisé un faux billet de 20 dollars pour acheter des cigarettes. Avec trois de ses collègues, Chauvin plaque au sol Floyd, déjà menotté, avant de s’agenouiller de tout son poids sur son cou. Maintenant une pression de près de dix minutes. Le regard fixe, vide, aussi indifférent aux râles d'agonie de sa victime qu'aux cris et supplications des passants affolés.

L'horreur de la scène est filmée et diffusée en ligne par Darnella Frazier. S'ajoutant à une longue liste de meurtres policiers racistes aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs dans le monde, le "snuff-movie", la mise à mort filmée de George Floyd, devient virale. Elle provoque colères, émeutes et manifestations citoyennes dans plusieurs grandes villes des Etats-Unis. Puis, à travers le monde entier. A Bruxelles, à l'appel de Change asbl, plus de 15.000 personnes se rassemblent, le 7 juin 2020, devant le Palais de justice pour exiger la fin du racisme structurel et des violences policières arabo-négrophobes.

Un procès très médiatisé

S'ouvrant dès le mois de mars 2021, le procès de Derek Chauvin a été suivi par des millions d’Américains. Pendant des semaines, ils ont revécu l'affaire sous tous ses angles, entendu les témoins expliquer leur traumatisme et ont assisté à un défilé inédit de policiers dénonçant l’attitude de leur ex-collègue.

S'appuyant sur les habituelles mythomanies policières et accusant la victime de sa propre mort, la plaidoirie d'Eric Nelson, l'avocat de Derek Chauvin, n'a pas convaincu les jurés. Ceux-ci ont ont reconnu coupable Chauvin en moins de dix heures. Rendue le 20 avril dernire, la décision fût accueillie avec soulagement dans le pays. Beaucoup craignaient en effet que plusieurs villes nord-américaines s’embrasent à nouveau dans le cas où Derek Chauvin ressortait libre. Une éventuelle impunité qui ne relevait pas de l'imaginaire puisque, par le passé, nombre de policiers blancs, coupables de meurtres d'afro-américains désarmés, en ont bénéficié.

En cela, la condamnation de Derek Chauvin reflète un véritable coup d'arrêt à l'impunité policière. Avec cet exemple de jurisprudence à la hauteur de la gravité des faits, citoyens afro-américains et non-blancs peuvent espérer que commence à s'enraciner la dissuasion de recourir au meurtre chez nombre de policiers racistes aux Etats-Unis.