Demain 17 heures marque le dernier délai pour les sans-papiers de l'USPR (Union des Sans-Papiers pour la Régularisation) pour quitter l'église du Béguinage, qu'ils occupent depuis le 30 janvier 2021 et qui a constitué depuis le lieu central de leur lutte pour un accès légal au marché du travail.

Après maintes résistances des sans-papiers et du comité de soutien de l'USPR, cette expulsion a été finalement ordonnée par le juge de paix, portant un coup terrible à une séquence de lutte éprouvante qui les aura mené, après de nombreuses actions, manifestations, discussions, après deux mois de grève de la faim et quatre jours de grève de la soif, à l'obtention le 21 juillet d'un cadre de référence dont les lignes directrices n'ont par la suite pas été respectées. Dans un article paru sur la RTBF le 23 février, les membres de la Fabrique d'église ont exposé succinctement les raisons de cette expulsion. Le comité de soutien de l'USPR tenait à leur répondre.

Carte blanche du comité de soutien de l'USPR

Suite à une décision du juge de paix datant du 10 février, les sans-papiers de l’USPR ont été sommés de quitter l’église du Béguinage le lundi 28 février à 17 heures  au plus tard. Dans un communiqué publié par la RTBF le 23 février, les membres de House of Compassion ont expliqué que leur soutien à la lutte des sans-papiers, qui occupaient l’église depuis le 30 janvier 2021, ne pouvait résister à la nécessité de reprise de leurs activités. Par ce geste, l’église du Béguinage condamne les sans-papiers de l’USPR à chrysalider leur lutte sous prétexte d’une fin de non recevoir de la part du gouvernement Vivaldi. Si l'on suit ainsi la logique de House of Compassion, il s’agirait pour les sans-papiers de l’USPR de revenir à une mécanique de lutte plus en phase avec la tradition longue des luttes terminées par le domaine d’état et sa société civile.

Une longue séquence de lutte

Pour rappel l’USPR, à la date du 21 juillet 2021, avait obtenu, après plusieurs mois de grève de la faim, d’actions d’occupation et de consécration d’un rapport de force actif, un accord de régularisation pour les 475 ex-grévistes de la faim. La grève s'était dès lors achevée, après des négociations entre des représentants des sans-papiers de l'USPR, le secrétaire d'État Sammy Mahdi, le directeur de l’Office des Etrangers Freddy Roosemont et le commissaire général aux réfugiés et aux apatrides Dirk Van den Bulck. Les responsables politiques s'étaient alors engagés à prendre en considération certaines lignes directrices pour l'examen des demandes de régularisation, notamment l'ancrage et l'intégration en Belgique, des promesses d'embauche reçues ou encore la présence régulière en Belgique de membres de la famille des demandeurs. Les premières décisions rendues par l’OE, dont 137 sont négatives sur 151 dossiers étudiés, montrent clairement la production de négatifs collectifs. 

Deux commissions intérieures ainsi qu’une action judiciaire devant le tribunal de première instance n’auront pas suffit au gouvernement pour démontrer le sabotage orchestré de l’accord. Ces lignes directrices dûment obtenues sont le résultat d’un parcours historique agi par les sans-papiers de l’USPR qui sont les victimes représentatives d’une politique de restriction migratoire, clâmant avec force son désir général d’expulsion des sujets impropres à la vie régie par le nomos. 

De nombreuses menaces d'expulsion

Cette décision du juge de paix continue, par conséquent, l’itinéraire d’expulsion qui semble être la seule manière d’expérience des sans-papiers de Belgique. Le 15 août 2021, la Fabrique d’église, lieu historial du soutien aux sans-papiers, avait déjà menacé d’expulser les occupants, ralentissant par là considérablement le travail préliminaire de construction des dossiers. La décision irrationnelle de la fabrique d’église de renvoyer les occupant.es dans la clandestinité et l’isolement dans cette période fut perçue par le comité de soutien comme une marque tangible et regrettable de sabotage des conditions d'exécution de l’accord. Nous avons à ce moment engagé un dialogue avec la fabrique d’église afin de réorienter leur décision finale. Dialogue infécond qui s’était soldé dans un premier temps par un maintien de la décision de la Fabrique d’église. Nous avions dès lors décidé d'organiser une action d’occupation de la place du Béguinage pour contester la décision de la Fabrique d’église ; action porteuse puisque quelques heures plus tard, la Fabrique d’église revint sur sa décision et l’occupation fut maintenue, mais dans des conditions qui n’allaient que s’empirer : coupures d’électricité durant le réveillon du Nouvel An, refus des propositions logistiques de différentes organisations pour l’installation d’un chauffage central, de tentes ou de tout autre aménagement visant à rehausser un tant soit peu le confort précaire des occupants durant l’hiver, etc. 

En effet, ce lieu historique, qui semble pour d’aucuns signifier le fétiche de l’inaliénable soutien de l’église face aux logiques d’oppression, n’aura fait que reproduire les conditions imprescriptibles, dans le domaine de vie et de reproduction sociale, du racisme d’Etat. La fabrique d’église, mais aussi les différentes coordinations référentes dans le suivi des dossiers, auront installé les sans-papiers dans une insécurité administrative permanente : contrôles de résidence s’apparentant à des contrôles de population sans suivi de la part de la coordination, assurance que l’adresse de l’église du Béguinage pourrait être utilisée comme adresse de référence, sans confirmation de la part de l’OE, manque de suivi dans la réception des réponses, de l’introduction des recours, etc. La redondance de ces incuries structurelles caractérise de bout en bout l’irresponsabilité et le mépris patent des acteurs s’invitant dans l’officine de lutte des sans-papiers de Belgique.

Trois occupations de l'USPR bientôt à la rue

Par ailleurs, l’expulsion du 28 février 2022 n’est pas l’unique expulsion face à laquelle l’USPR va devoir faire face. En effet, l’occupation mentionnée dans l’article de la RTBF, qui serait selon les dires gargarisés de House Of Compassion le nouvel espace de relogement de l’USPR, devrait prendre fin dans le courant du mois de mars. Le comité de soutien, soutenu dans les discussions par les JOC de Bruxelles et Médecin du monde, ont proposé un projet de convention d’occupation précaire au propriétaire, projet qui fut in fine refusé par ce dernier. Durant les discussions, nous avions fait appel au soutien de House of Compassion. En effet, lors des discussions de négociation autour de l’expulsion de l’église dans la perspective de reprise des activités de l’association, une solution de relogement dans des conditions dignes et durables a toujours été la condition sine qua non posée par le comité de soutien. Nous avions alors reçu à plusieurs reprises l’assurance des membres de la Fabrique d’église de leur soutien dans les démarches à venir. Mais lorsque, le nouveau bâtiment ouvert, les démarches se concrétisent, l’un des membres du comité contacta le père Daniel Alliët pour solliciter son soutien pour le maintien de la future occupation; ce bref échange se solda, à notre grand étonnement, par un refus complet de participation de sa part. Le prêtre de l’église se contenta de rappeler sommairement que le délais d’expulsion devait être respecté et que si résistance il y avait, elle serait rompue manu militari. 

La vingtaine de sans-papiers qui avaient migré de l’église à la nouvelle occupation et qui y loge toujours actuellement est désormais à nouveau dans une incertitude totale quant au délai restant dans leur logement provisoire ainsi qu’aux futures solutions de relogement à trouver. D’autres personnes logeant toujours à l’église sont dans la même situation. Quelque 80 membres de l’USPR résidant depuis le printemps dernier dans l’occupation du SeeU, dans les casernes d’Ixelle, vont à leur tour très prochainement se retrouver sans domicile - l’expulsion de l’occupation pour cause de travaux de rénovation, prévue initialement en août 2021, ne pouvant être repoussée éternellement et devant prendre fin selon les termes du ministère de la région bruxelloise pour le 31 mars. Divers acteurs se sont portés garants, tout au long de la séquence, de la recherche de solutions de relogement, sans pour autant qu’aucune des propositions esquissées n’aboutissent à un résultat. Aujourd’hui, il semblerait une fois encore, d’après les dires de la fabrique d’église, que les mandatés se soustraient de leurs responsabilités à un moment clef, laissant les sans-papiers et prochainement sans-domicile se reposer sur les seuls solutions de secours du comité de soutien.

Le principe de responsabilité comme fil rouge de nos actions

Depuis le début, le comité de soutien intègre dans les principes de son écologie pratique la notion de responsabilité comme facteur de coordination de son action. En effet, engagés dans l'idée que notre responsabilité repose sur la tentative modeste de résolution des situations critiques des cas individuellement pris, nous pensons que la désertion institutionnelle du principe de responsabilité propulse l'échec des initiatives et  dynamiques internes/externes du mouvement de l'USPR. Ainsi, nous avons assisté à une multitude d'actions portant en insensibilité les orientations désirantes du mouvement de l'USPR. In My Name, We are Belgium too sont d'autant d'initiatives enclenchées dans l'objectif d'inscrire l'USPR dans la dynamique large du statu quo clair et permanent, et cela malgré des réticences d'expérience internes au mouvement.

Vers une nouvelle séquence de la lutte de l'USPR ?

Pourtant, ces dernières semaines, nous avons pu assister à une recomposition de la lutte de l’USPR à travers un réagencement de ses dynamiques internes et une remobilisation de ses membres. L’enceinte de l’église est à nouveau le lieu de discussion stratégiques et les ex-grévistes, bien décidés à ne pas laisser tout bonnement disparaître les résultats durement acquis de leur lutte, expriment un rejet total des actions perpétrées en leur nom par leurs soutiens institutionnels et dont ils n’ont jamais vu que les conséquences désastreuses sinon rien, ainsi qu’un refus de l’utilisation de leur nom et de leur image à des fins d’éducation permanente et au service d’agendas excluant leurs propres cas particuliers au profit d’une inclusion abstraite. 

Le comité de soutien, par ses actions, a toujours travaillé dans une irrémédiable tenue en responsabilité vis-à-vis des dires et discussions engageant le mouvement de l’USPR dans son intériorité. Depuis le premier jour de notre présence, nous n’avons jamais considéré que notre présence était la résultante d’une philanthropie atemporelle et imprescriptible ne devant pas faire l’exercice d’une vérification et de contraintes situées. Le comité de soutien s’est toujours engagé dans des opérations de déplacement de ses propres certitudes en motivant son travail par une éthique de la nécessité poussée par l’expérience partagée des 475 ex-grévistes de la faim. Nous n’avons jamais cherché à générer de disproportion ou d’exclusivité dans les revendications aménagées par le mouvement et nous nous sommes toujours attelés à intervenir à partir des contraintes ordinaires ciblant les 475 sans-papiers de l’USPR. Nous continuerons à exiger des solutions de relogement dignes et durables.

Nous nous tiendrons aux côtés des sans-papiers de l’USPR et continuerons de les soutenir dans la nature de leurs actions et revendications ainsi que dans les choix engageant les recompositions internes de leadership du mouvement de l’USPR. L’ensemble du comité de soutien persistera avec eux dans l’exigence simple et radicale du respect du cadre de référence des accords du 21 juillet. 

Cet article est personnel, la rédaction de Cité24 n’est pas à l’origine de ses contenus.