Pourquoi les politiciens utilisent-ils souvent des phrases choc pour créer le buzz ? Les mobilisations écolos jugées « radicales » sont-elles vraiment contre-productives ? La réponse se trouve dans le concept de la « fenêtre d’Overton », qui délimite ce qu’une société juge acceptable à un moment donné.
Dans les années 1990, Joseph P. Overton, juriste et lobbyiste nord-américain, a utilisé ce terme pour décrire les idées que la population considère comme acceptables. Il imagine une « fenêtre » englobant les idées perçues comme socialement et politiquement légitimes. Les idées situées hors de ce cadre semblent, au contraire, radicales et donc peu acceptées.
Pour Overton, qui occupait alors un poste de vice-président senior au Mackinac Center for Public Policy, ce concept relevait du pragmatisme. Une idée inscrite dans cette fenêtre pouvait être comprise et potentiellement adoptée, tandis qu’une idée située au-delà de cette limite s'exposait au rejet.
En politique, bien viser cette « fenêtre » est essentiel pour attirer les votes. À défaut, il faut savoir comment l’élargir.
Une fenêtre en mouvement
La fenêtre d’Overton est dynamique, car elle évolue avec les valeurs et opinions de la société. Voici quelques exemples :
La prohibition aux États-Unis illustre ce phénomène. Il y a quelques générations, la vente et la consommation d'alcool étaient interdites par la loi fédérale. Aujourd’hui, cette interdiction paraît absurde à la plupart des gens, et peu de politiciens défendraient le retour d’une telle mesure.
Le droit à l’avortement est un autre exemple. Au début du XXe siècle, il s'agissait d'une idée radicale. Progressivement, ce sujet est devenu légitime, ouvrant la porte au débat et, dans certains pays, à la légalisation. Cependant, la fenêtre reste mouvante et pourrait revenir en arrière sur ce sujet sensible.
Comment déplacer la fenêtre d’Overton ?
Les politiciens déplacent rarement cette fenêtre par eux-mêmes, car elle suit la lente transformation des valeurs et normes sociales. Cependant, exposer les gens à des idées perçues comme extrêmes contribue souvent à leur normalisation. En rendant ces idées plus visibles dans les médias et sur les réseaux sociaux, elles peuvent apparaître moins choquantes avec le temps et intégrer progressivement la « fenêtre » acceptée. Ce déplacement peut servir des causes progressistes ou, à l’inverse, normaliser des idées extrémistes.
Certaines actions d’activistes sociaux jugées « radicales » – blocage de routes, actions choc ou perturbations lors d’événements sportifs – s'inscrivent en dehors de la fenêtre d’Overton. Toutefois, elles facilitent l’acceptation d’autres formes d’activisme moins perturbantes. Par exemple, les projets de loi ou manifestations considérés moins « radicaux » par contraste gagnent en légitimité.
À l’inverse, l’extrême droite utilise aussi la fenêtre d’Overton. En exposant le public à des idées très radicales, certains cherchent à banaliser les discours racistes et islamophobes. Plus les gens entendent de tels propos, plus ils risquent de considérer des idées auparavant impensables comme modérées par comparaison.
Un pouvoir d’action partagé
La fenêtre d'Overton n’explique pas tout en politique, mais elle souligne le rôle des institutions sociales dans l’acceptation des idées. Familles, associations, lieux de travail, médias, groupes de réflexion, écoles et organisations façonnent nos opinions.
L'opinion publique se forme dans ces interactions de la vie quotidienne, bien plus qu'au sommet de l'État. En comprenant ce mécanisme, les citoyens peuvent mieux résister aux manipulations politiques et exercer un pouvoir d'influence par eux-mêmes.
Le lobbyiste nord-américain Joseph P. Overton et son collègue Joseph P. Lehman rappellent que la politique se conforme souvent aux limites de cette fenêtre. Les politiciens hésitent à soutenir des politiques qu'ils jugent dommageables pour leurs chances électorales, et seuls les débats sociaux peuvent étendre le cadre de ce qui est acceptable.