Plus de deux ans après la mort de Sourour Abouda dans une cellule du commissariat central de Bruxelles, le parquet estime qu’il existe des charges suffisantes pour renvoyer la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles devant le tribunal pour homicide involontaire. Aucun policier n’est poursuivi individuellement.
Le 12 janvier 2023, Sourour Abouda, une travailleuse sociale de 46 ans et mère d'un garçon désormais orphelin, est interpellée à Ixelles, pour avoir pénétrer dans la voiture d'une personne sans son autorisation. Le propriétaire du véhicule, alarmé par son comportement, a contacté les forces de l'ordre.
Selon le parquet, elle n’était « pas dans son état normal », criait, invectivait les policiers et refusait de rentrer chez elle. Jugée responsable d’un trouble à l’ordre public, elle est conduite au commissariat central, rue Royale 202A, pour y être placée en détention administrative. Deux heures plus tard, elle meurt, seule, dans une cellule.
Le parquet écarte l’accusation de détention arbitraire. Le réquisitoire évoque une ivresse manifeste, révélée par l’autopsie : plus de deux grammes d’alcool dans le sang. Cet état n’a cependant pas été mentionné dans le procès-verbal d’interpellation, et aucun examen médical n’a été pratiqué. Pour autant, le parquet considère que la détention était régulière et conforme aux procédures.
La version de la police contestée
La police affirme que Sourour Abouda s’est suicidée en s’étranglant avec son pull. Une version rapidement communiquée à la famille, mais aussitôt remise en question. La Ligue des Droits Humains, partie civile, et les proches de la victime rejettent cette hypothèse.
Dans son réquisitoire, révélé par la RTBF, le procureur du Roi Julien Moisnil conclut qu’il existe « des charges suffisantes » pour renvoyer la zone de police devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire. En revanche, aucun policier individuellement ne fait l’objet d’une demande d’inculpation. La responsabilité est donc envisagée à l’échelle institutionnelle.
Les images de la cellule ont été saisies dans le cadre de l'instruction et minutieusement examinées par le service d'enquête du Comité P, l'organisme chargé du contrôle des services de police. Le constat est sans appel : Sourour Abouda a appelé plusieurs fois à l'aide sans qu'aucun policier ne réagisse. Après s'être effondrée au sol, il a fallu attendre 70 minutes avant que deux policiers ne viennent lui prêter assistance.
Ces éléments ont été jugés suffisamment graves par le ministère public pour engager des poursuites contre la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles pour homicide involontaire, un crime qui, en droit pénal, désigne l'acte d'avoir commis le crime ou d'y avoir directement participé. Ce délit peut entraîner une peine de 3 mois à 5 ans de prison.
« J’ai été enfermé dans ce commissariat »
Quelques jours après le décès de Sourour Abouda, j’ai exprimé mes doutes quant à la version officielle avancée par la police. En tant que journaliste, j’avais été détenu à plusieurs reprises dans le commissariat de la rue Royale, souvent sans raison valable, notamment lors de manifestations où je couvrais les violences policières. Je connaissais donc très bien les cellules de ce commissariat, un complexe ultra-sécurisé pensé pour empêcher tout geste suicidaire.
Je rappelais alors que ces cellules étaient équipées d’un lit en béton, d’une toilette en inox, d’un interphone, et qu’aucun élément ne permettait d’y accrocher un vêtement ou un objet. De plus, elles étaient surveillées par des caméras 360° en continu, et les policiers passaient toutes les trente minutes pour observer les détenus. Dans ce contexte, j’interrogeais : comment expliquer que le corps de Sourour n’ait été découvert que des heures après son arrestation, malgré un protocole de surveillance aussi strict ?
Enfin, je m’étonnais du silence du parquet sur certains points essentiels : aucune analyse toxicologique des policiers présents n’avait été ordonnée, et l’on ignorait si les droits fondamentaux de Sourour Abouda - notamment le droit à une assistance médicale et à prévenir un proche - avaient été respectés. À mes yeux, sans une volonté politique et judiciaire de faire toute la lumière, ce drame risquait de rejoindre la longue liste des affaires classées sans suite, malgré les nombreuses zones d’ombre qui subsistaient.
Un pas vers un procès public ?
La chambre du conseil de Bruxelles se penchera sur le dossier le 13 juin 2025. Elle décidera si l’affaire doit être renvoyée devant le tribunal correctionnel. Sollicités, ni la zone de police concernée ni le cabinet du bourgmestre Philippe Close, président du collège de police, n’ont souhaité commenter le réquisitoire.
Pour la Ligue des Droits Humains, ce réquisitoire est un signal encourageant. Elle y voit un « pas positif » vers l’ouverture d’un procès public. Mais les questions restent nombreuses. Qui a failli ? Pourquoi l’assistance n’a-t-elle pas été apportée à temps ? Les droits de Sourour Abouda ont-ils été respectés ?
La justice semble enfin vouloir faire la lumière sur la mort de Sourour Abouda, deux ans après les faits. Mais en renvoyant uniquement la zone de police et non les agents individuellement, le parquet évite d’établir des responsabilités personnelles. Cette affaire peut-elle réellement aboutir à une justice réparatrice sans désigner les auteurs précis d’un homicide ?