Arrivé sur le sol marocain le soir du 28 juin, Christophe Marchand a été arrêté et expulsé du pays hier après-midi. Il devait assister au procès d’Omar Radi, un des journalistes marocains opprimés par le pouvoir.

Me Christophe Marchand a été interpellé lundi, à Casablanca, à sa sortie d’avion vers 21heures. Il a ensuite été expulsé du pays, le lendemain après-midi, vers Bruxelles, sur un vol de la RAM (Royal Air Maroc).

Dérive autoritaire

Le webmedia marocain Le Desk a pu contacter l'avocat durant sa courte détention provisoire. Celui-ci s'est montré pour le moins surpris : "C'est la première fois que ça m'arrive. Cela fait 35 ans que je viens au Maroc, ma compagne est à moitié marocaine et j'ai beaucoup de clients ici". Me Marchand ajoute : "J'ai passé la nuit dans une salle de la zone de transit. Je n'ai pas mon passeport [...] Nous sommes plusieurs, dont Nicolas Cohen, mais je suis le seul à avoir été interdit d'accès. Aucun motif de refus d'accès ni d'expulsion ne m'a été signifié. J'étais là pour une mission d'observation. Nous informons le rapporteur spécial de l'ONU sur la situation au Maroc, dont le cas d'Omar Radi ainsi que 25 autres cas d'atteinte à la liberté d'expression. Le constat est qu'il y a une dérive autoritaire, nouvelle et inédite, sous le règne de Mohammed VI".

Mardi matin, le cabinet d’avocats Jus Cogens, dans lequel Me Marchand travaille, a diffusé un communiqué de presse titré « Attaques contre la liberté d’expression : le Maroc franchit un nouveau cap vers la tyrannie ». Et le cabinet bruxellois de dénoncer que : « Christophe Marchand venait assister à une audience qui se tient, ce 29 juin à midi, à Casablanca. Les autorités lui ont rapidement dit qu’il ne pouvait pas rentrer sur le territoire et était expulsé. Il a passé la nuit sur un banc en zone de transit, son passeport lui ayant été confisqué".

Une voix libre

L’avocat belge a émis un appel urgent au Rapporteur spécial des Nations unies pour qu'il presse le Royaume chérifien de le laisser exercer son travail. Soit assister en qualité d'observateur au procès du journaliste Omar Radi. Pour rappel, ce dernier est détenu au Maroc, depuis juillet 2019, à cause de ses publications très critiques à l’égard du régime. Selon les ONG Reporters sans frontières, Amnesty International et Human Rights Watch, Omar Radi est l'une des "voix libres" du Maroc. L'appel de l'avocat est resté sans réponse.

En fait, ce sont deux procès qui se déroulent à Casablanca depuis plusieurs semaines. Celui du journaliste Souleimane Raissouni, détenu depuis le 22 mai 2020 et en grève de la faim depuis le 8 avril dernier, et ceux de ses confrères Omar Radi (accusé de viols) et Imad Stitou (accusé de complicité de viol alors qu’il s'était présenté comme témoin à décharge, présent sur les lieux des faits).

Décision souveraine

Selon l'État marocain, Me Marchand savait, depuis février dernier, qu'il était interdit de séjour au Maroc. "Même s'il était au courant qu'il est interdit d'accès au territoire national depuis le 24 février 2021, l'intéressé s'est obstiné à se rendre au Maroc dans une tentative d'imposer le fait accompli", ont déclaré les Autorités marocaines, dans un communiqué diffusé mardi soir. "Il a tenté d'exploiter la décision de son interdiction pour porter atteinte à l'image du pays, en jouant le rôle de la victime, et a tenté d'instrumentaliser sa présence au procès pour la réalisation de rapports partiaux et non objectifs", ont-elles ajouté.

"Accointances avec certains membres du Polisario"

Le motif de l'arrestation puis de l'expulsion de Me Marchand serait lié à "ses accointances avec certains membres du Polisario", selon Me Stanislas Eskenazi, conseil de l'ambassade du Maroc en Belgique. "C'est une décision souveraine du gouvernement marocain. Ce que son cabinet omet de dire c'est qu'il s'est rendu là-bas sur place alors qu'il savait qu'il allait être refoulé. Et l'association, pour laquelle il se prétend observateur, est active dans les activités du Polisario. Les actions de ce mouvement politique sont un sujet sensible au Maroc, qui relève de la souveraineté de l'État marocain et qui ne se résoudra que par la diplomatie", a conclut l'avocat.

Maître Christophe Marchand est connu pour sa défense de dossiers judiciaires très sensibles et médiatiques, tel celui du fondateur de Wikileaks, Julian Assange ; celui de la famille Lumumba, qui tente de faire condamner les responsables belges de l'assassinat du premier Premier ministre du Congo indépendant (Patrice Lumumba) ; ou encore celui d'Ali Aarrass, citoyen belgo-marocain, condamné, emprisonné et torturé pendant 12 ans au Maroc, sous la fallacieuse accusation de "complicité de terrorisme" ; puis libéré en 2020 et rapatrié, depuis, en Belgique.