Dans une tribune virtuelle, la sœur d’Adama Traoré accusait nommément les trois gendarmes entre les mains desquels son frère est mort. Ceux-ci ont déposé plainte pour diffamation. Assa Traoré vient d'être relaxée.

La 17 ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris a relaxé, ce 1er juillet, Assa Traoré en considérant que l'écrit - dont elle est l'autrice et qu'elle assume totalement - n’avait rien de diffamatoire.

Dans cette lettre qu’elle avait diffusée sur Facebook le 18 juillet 2019, trois ans après la mort d’Adama Traoré, l'activiste dressait la liste de tous ceux qui avaient entravé la justice sur le chemin de la vérité. Dans sa tribune, Assa Traoré y accusait les trois gendarmes de Persan « d’avoir tué [son] frère », de « ne pas [l]’avoir secouru », et « d’avoir refusé de démenotter Adama en affirmant qu’il simulait alors qu’il était en train de mourir ». Les trois gendarmes n’ont pas apprécié de voir leurs noms diffusés sur le réseau social. Romain Fontaine, Arnaud Gonzales et Mathias Uhrin ont déposé plainte pour "diffamation" contre la jeune femme de 36 ans.

Une critique des méthodes policières

Le tribunal a d'abord estimé que le sujet touche « à la question du fonctionnement des institutions et des services publics ». Construite sur le modèle du texte d’Emile Zola et titrée "J'accuse...", la tribune d'Assa Traoré vise davantage à « critiquer les méthodes policières et d’assistance aux personnes puis le déroulement de la procédure judiciaire destinée à faire la lumière sur les circonstances du décès d’Adama Traoré », motivent les juges dans leurs attendus.

Les magistrats ont aussi rappelé que le combat d’Assa Traoré n’est pas seulement celui d’une famille mais qu’il embrasse une cause. La décision de relaxer Assa Traoré s’appuie aussi sur la nécessité de préserver la démocratie : "Les propos en cause s’inscrivaient dans un débat plus général sur les rapports entre la police et les citoyens, notamment dans certains quartiers plus défavorisés où le constat est fait d’une défiance envers les institutions que le sociologue Eric Fassin, entendu en qualité de témoin, décrit comme un véritable danger pour la démocratie, appelant de ses vœux une réaction de l’Etat sur ces sujets, notamment afin de lutter contre les discriminations."

Perte de confiance dans les institutions

Les juges citent encore le témoignage d’Anne-Charlotte Arnoult, amie d’Assa Traoré, éducatrice spécialisée, et membre du comité Justice pour Adama, venue "montrer comme le cas particulier du décès d’Adama Traoré illustre cette perte de confiance dans les institutions, même par des personnes qui œuvrent au quotidien, par leur métier, auprès des jeunes afin de permettre leur insertion dans la société. D’une affaire singulière se dégage ainsi un débat qui intéresse tous les citoyens quant aux délais de procédure, à la place donnée aux familles des victimes dans le processus judiciaire, à l’existence ou non de traitements discriminatoires de la part des institutions et plus généralement aux relations entre la police, la Justice et les citoyens".

Dans leurs conclusions, les magistrats se gardent d'exprimer "un quelconque avis sur le traitement policier et judiciaire de l’affaire concernant Adama Traoré ". Tout en considérant qu’il est "incontestable que s’expriment, à travers cette affaire, un ensemble de préoccupations sociales et sociétales d’une réelle importance dans la France d’aujourd’hui, susceptible d’alimenter un débat d’intérêt général majeur". Certes. Et pas qu'en France...