Dans le contexte du procès des attentats de Bruxelles, le juge d’instruction Patrick De Coster est revenu le mercredi 11 janvier sur l’arrestation du journaliste indépendant Fayçal Cheffou, arrêté à tort et reconnu victime collatérale suite au prononcé du non-lieu de la Chambre du conseil du 5 janvier 2021. Cité24 vous dévoile tout.
Le journaliste avait été confondu à tort avec « l'homme au chapeau » alias Mohamed Abrini, alors que son identité n’était pas encore définitivement établie. La piste menant les enquêteurs à la saisie médiatique et policière de Fayçal Cheffou, fut la conséquence d’images vidéos le montrant le jour des attentats, à proximité de la station de métro Maelbeek.
Lors de l'audition de Fayçal Cheffou, le 24 mars 2016, un policier l'informe qu'il présentait des traits similaires avec les premières images permettant de distinguer « l'homme au chapeau ». Cette piste crédibilisée par la remise d’une photo aux policiers, avait eu pour effet délétère de construire Fayçal Cheffou comme figure criminalisable.
Suite à ce signalement, un autre témoignage en provenance du chauffeur de taxi qui a transporté les terroristes à Zaventem, a renforcé la relation incriminante entre ce dramatique événement et la future victime. Par ailleurs, lorsque l’enquête démontra la présence de Fayçal Cheffou a proximité du Palais de Justice, le doute n’était plus permis, il était le « suspect-coupable » idéal.
« J'ai libéré Fayçal Cheffou avec mes excuses »
Patrick De Coster déclarait dans sa communication qu’une, « perquisition a suivi, qui n’a pas donné grand-chose », et qu’il avait, à toute hâte, interrogé Fayçal Cheffou pour obtenir le plus d’éléments pour la mise en instruction de l’affaire.
Le juge ajoutait, « L’homme était nerveux lors de son interrogatoire, et a montré des difficultés à coopérer. Il avait notamment refusé un test ADN ainsi qu’une file d'attente, en s'alignant en fin de compte après échange avec son avocat ». Fayçal Cheffou a été le sujet de cette mise à l’information suite aux affirmations du chauffeur de taxi, qui confirmait à 200% qu’il s’agissait du troisième terroriste de Zaventem.
Cinq jours plus tard, après une enquête rondement menée et des devoirs d’enquête ardemment construits par son conseil, maître Olivier Martins, Fayçal Cheffou est finalement libéré. « Je l’ai libéré le 28 mars, avec mes excuses », a déclaré le juge d’instruction chargé de l’affaire, Patrick De Coster. « Ce sont des moments qu’on ne peut plus rattraper, si quelqu’un est arrêté à tort. Cela montre bien qu'en tant que juge d'instruction, nous menons une enquête à charge et à décharge. Alors là, c'était à décharge. »
La fuite de “l’homme au chapeau”
Devant la cour d’assises du procès des attentats, les enquêteurs ont retracé la fuite de Mohamed Abrini, “l’homme au chapeau”, depuis l’aéroport jusqu’au boulevard du Jardin Botanique, à Bruxelles. Grâce, notamment, à l’analyse des images capturées par les caméras de surveillance, un “travail de fourmi”, les enquêteurs ont pu retracer le chemin suivi par Mohamed Abrini. Sur les images diffusées devant la cour, on voit Mohamed Abrini quitter le hall des départs à 07h59 via un parking. Il quitte l’enceinte de l’aéroport à 08h11 et traverse plusieurs routes en direction du centre de Zaventem. Il sort du champ des caméras de surveillance à 08h13.
Grâce à l’appel d’un témoin qui affirme avoir vu l’homme au chapeau sur la chaussée de Louvain alors qu’il passait devant une centrale de pneu, les enquêteurs retrouveront la piste de l’homme au chapeau qui se dirige vers la place Meiser. Les caméras le captent vers 09h15 sans la veste claire qu’il portait à l’aéroport. Le 28 mars, soit six jours après les attentats, l’analyse des images permet de retrouver sa trace à Schaerbeek, au carrefour entre l’avenue de la Brabançonne et la rue du Noyer, à 09h50.
À ce moment-là les enquêteurs le perdent de vue et sont contraints d’analyser les images de toutes les caméras de surveillance environnantes pour le localiser de nouveau à Saint-Josse-ten-Noode à 10h01 alors qu’il se dirige vers la place Rogier via le boulevard du Jardin botanique où on perd définitivement sa trace à 10h15.
Recherche de l'homme au chapeau
Un avis de recherche sera lancé dans tous les journaux nationaux et internationaux et une enquête de voisinage sera menée mais ni l’une ni l’autre ne déboucheront sur une piste. Mohamed Abrini sera finalement arrêté le 8 avril chaussée de Mons alors qu’il se dirigeait vers le domicile de Hervé Bayingana Muhirwa.
Des recherches seront effectuées les 24 et 29 mars et une autre enquête de voisinage sera menée le 2 avril à Zaventem-centre afin de retrouver la veste dont le fuyard s’était débarrassé, mais celle-ci ne sera jamais retrouvée. Mohamed Abrini affirmera l’avoir jetée dans une poubelle. Deux chapeaux semblables à celui qu’il portait ont également été découverts, mais l’enquête montrera qu’il ne pouvait s’agir de son chapeau.
Certaines images le montrant en train de téléphoner, aboutiront à l’ouverture d’une enquête téléphonique sans réels débouchés. Abrini expliquera plus tard qu’il faisait semblant de téléphoner pour masquer son visage.
880 fiches de signalement
Une ligne téléphonique a également été ouverte dans le cadre d'un appel à témoins pour retrouver Mohamed Abrini et Ossama Krayem. Le commissaire a précisé que cette ligne, ouverte 24h/24 avait permis d'ouvrir 880 fiches dont 790 avaient été analysées.
Ce débordement de signalements parfois plus farfelus les uns que les autres, ont participé à construire Fayçal Cheffou et d’autres en présumé coupable. Il déclare à ce titre avoir été, « choqué par le procédé de détournement de l’enquête qui m’a profilé comme le suspect principal d’un acte que je n’avais pas commis, et qui de plus m’a empêché d’avoir immédiatement accès à une défense équitable. J’ai été impliqué alors que les véritables responsables étaient encore en liberté ». Il relance en insistant sur le fait que la police « a été mal orientée dans ses démarches d’investigation et il serait temps que le parquet le reconnaisse et fasse le nécessaire pour éviter à l’avenir que cela ne se reproduise ».
« Je ne suis pas le seul dans ce cas »
Fayçal Cheffou termine en évoquant la nécessité d’un organisme à même de pouvoir faire la lumière sur ce qu’il appelle, « des dossiers qui détruisent des vies entières et qui ont des conséquences dramatiques pour l’avenir de notre société. Je ne suis pas le seul dans ce cas. Des personnes telles que Rabah Meniker par exemple, ont littéralement tout perdu en étant inculpé de la sorte. Titre de séjour, famille, maladies, mort sociale, c’est littéralement à ça que ce résume la vie d’une personne déchue de sa citoyenneté, suite à une inculpation pour anti-terrorisme. 4 années de détention dont 200 jours en isolement, pour rien ! ».
Il finit par conclure, « Je ne remercierai jamais assez les personnes qui ont cru en moi et qui m’ont défendu, je tiens plus particulièrement à remercier ma famille ainsi que mon avocat, Maître Olivier Martins, sans qui je ne serais peut-être pas là pour échanger avec vous. Il a mené un travail d’investigation exemplaire et a, par l’intermédiaire de ses devoirs d’enquête, permis de m'innocenter. Chapeau Maître !. »