En marge des préparatifs d’une coupe du monde qui verra le triomphe continental et historique des lions de l’Atlas, un incident gravé dans le marbre du silence esquissant la biographie des sans-papiers de Belgique viendra condamner la mort-vie de Mohammed.

Pour revenir sur le parcours singulier de Mohammed, sans-papier et victime de l’incident, il est âgé de 26 ans et est accoutumé des marchés marolliens. Il a vécu une partie de sa vie en tant qu’acteur majeur d’un microcosme liégeois connu par le grand public comme le théâtre magistère d’une expérience conviviale offerte aux vassaux de la vie digne. Habitué à devoir drainer les quelques miettes dédiées aux laissés pour compte, il a dormi dans les rues, tonitruantes de misère bruxelloises, en dédiant son quotidien à l’unique activité qui solidifie la colonne vertébrale des sans-papiers de Belgique, à savoir la survie digne. Dis crûment, Mohamed est sans-abri dans la petite capitale léopoldienne.

Explorant les rues bruxelloises à la recherche d’un graveleux destin victorieux, Mohammed a pris ce risque si ambitueux et en même temps si nécessaire de se reposer. Sillonnant les bouches de métro à la recherche de son nuage dilaté de quiétude, il a terminé sa route à l’entrée du métro Yser, seul espace d’accueil disposé à l’adopter pour cette nuit.

Mohammed comme de nombreux autres, passa donc la nuit du 30 octobre 2022, emmitouflé sous les édredons donnés la veille par son frère ainée, également sans-abri.
Guettant sciemment les-va-et-vient cacophonique des forces de police, il espérait simplement qu'une désertion rapide les rendant un temps abstentionniste de leur espace public, pourrait lui donner accès à un repos éphémère.

Le pronostic de vie de Mohammed était de 20%

Repos fugace, il fut, puisque quelques heures après un sommeil recherché durant trop longtemps, il fut réveillé en trombe par le son pénétrant d'une matraque policière, signe d'une contraction du nuage de quiétude qu'il avait mis si longtemps à trouver. Sonné et en même temps déstabilisé par la brutalité cinglante du réveil, Mohammed, tenta un dernier échange avec les agents de police présents, pour s'offrir un répit supplémentaire. Tentative infructueuse puisqu'il fut sommé de quitter les lieux le plus rapidement possible.

Mohammed s'exécuta, non sans atermoiements, mais il s'exécuta avec le débit de parole nécessaire à une énième mise en débat de sa situation. Les policiers acquiescent mais lui demandent d'accélérer le pas afin que leur descente puisse se conclure par une mission remplie avec succès. 14h06, Mohammed happé par l'air policière ambiante et le son cinglant des matraques en activité, pris ses jambes à son cou et commença la longue descente, interminable descente de cet escalator gauche. Descente longue, très longue, durant laquelle Mohammed continuait à clamer son droit au repos. Il finit par atteindre le quai, en s'imaginant qu'il fallait qu'il se résigne à chercher un autre lieu de repos qui finira par l'accepter durablement. Le temps de se retourner face au quai, il comprit qu'il n'avait plus pied au sol. Chancelant et perdant complètement l'équilibre, il finit par violemment chuter et est emporté par le métro arrivant à toute vitesse. Il était 14h09 et Mohammed venait de connaître un incident tragique qui lui coûtera finalement ses deux jambes.

Pris d'urgence à l'UZ VUB à Jette, Mohammed fut d'abord stabilisé par l'équipe d'intervention sur place avant d'être envoyé au bloc opératoire. Son pronostic de vie était de 20% et les médecins craignaient qu'il ne succombe de ses blessures avant même d'arriver au bloc. Après une double amputation de la jambe supérieure, une amputation subtrochantérienne de la jambe droite, des fractures multiples des côtes du côté droit avec pneumothorax, une fracture multifragmentaire de l'omoplate côté gauche, Mohammed a survécu.

"Je veux comprendre ce qu'il s'est passé"

Une équipe de Cité24 s'est rendu à son chevet quelques semaines après ses lourdes opérations qui lui ont valu des journées et des longues soirées de convalescence. Mohammed nous a d'abord remercié d'être passé. Il disait avoir besoin de cette chaleur et ne demandait qu'une seule chose : "Je veux pouvoir remarcher, je veux pouvoir me lever maintenant !"

Il va jusqu'à nous raconter qu'il avait l'impression de s'être levé ce que l'infirmière a fini par récuser en affirmant : "Mohammed, tu rêvais !".

Lorsqu'il s'agissait d'échanger avec lui sur les détails de l'incident, Mohammed répondait qu'il avait du mal à se replonger dedans : "Je me souviens juste d'avant mais après le choc et la perte de conscience, plus rien, c'est le noir."

Déstabilisé et au bord des larmes à chaque fois qu'il évoquait l'annonce possible de cette nouvelle tragique à ses parents, Mohammed désirait une chose : "Je veux comprendre ce qu'il s'est passé, je veux avoir accès aux vidéos pour savoir ce qu'il s'est réellement passé."

Plongé dans une procédure de reconnaissance des dommages subis, Mohammed est accompagné dans ses démarches par ses frères et sœurs ainsi que par des citoyens, citoyennes inscrits dans différentes dynamiques d'accompagnement aux sans-abris.

Cité24 a rencontré la porte-parole du Comité contre le mal-logement, Ana-Maria Voicu, anthropologue qui par l'intermédiaire de son comité, accompagne quotidiennement Mohammed ;

Ana-Maria Voicu, bonjour, pourriez-vous brièvement présenter le Comité contre le mal-logement ?

"Le Comité contre le mal-logement est un comité que nous avons créé dans l'optique de répondre à une demande criante de solutions de relogement pour les sans-abris et les personnes en situation de précarité. Nos activités vont de l'accompagnement individuel à la sécurisation d'occupation mais s'ancrent surtout dans une perspective de lutte contre les inégalités rampantes qui parcourent le quotidien des personnes que nous tentons de soutenir."

Êtes-vous régulièrement confrontés à des cas similaires à celui de Mohammed et si oui, comment expliquez-vous un tel abandon des pouvoirs publics dans des situations aussi dramatiques que celles-ci ?

"Des cas aussi dramatiques que ceux de Mohamed reflètent la bibliographie historique des sans-papiers de Belgique. En effet, la nécropolitique (cf : Norman Ajari) qui structure leur quotidien est d'une violence inouïe telle, qu'il est parfois difficile de construire un itinéraire alternatif de vie. Cette nécropolitique est particulièrement harassante pour les hommes sans-papiers qui sont définis comme des corps pouvant résistés à des intempéries insupportables et dotés d'une surpuissance venue d'outre-monde. Ils représentent proportionnellement la population la plus vulnérable et en même temps celle qui est généralement la plus abandonnée. La reconnaissance des dommages subis soulève également des débats qui ne sont actuellement pas questionnés au niveau des CPAS. En effet, n'étant pas détenteur d'une mutualité, ils doivent systématiquement attendre une réponse des comités du CPAS avant de pouvoir bénéficier d'une prise en charge de leurs soins. Sans cette décision, la reconnaissance des dommages subis et a fortiori d'un statut de victime quelconque est peine perdue ! L'élargissement des moyens affectés à l'AMU ainsi que l'automatisation de certains accès doivent absolument être remis en débat au niveau du ministère de l'intégration sociale."

Une dernière question, que comptez-vous faire pour soutenir Mohammed ?

"Notre équipe d'accompagnement individuel tente de négocier avec le CPAS de Jette ainsi qu'avec différentes structures hospitalières afin de permettre à Mohammed d'être suivi par un centre de revalidation. Cette étape est essentielle afin de lui permettre de retrouver l'usage d'une motricité minimale. Nous travaillons conjointement avec Hafida, une citoyenne accompagnant la famille depuis les premiers jours, dans l'objectif de lui trouver une solution de relogement. Une cagnotte a été lancée afin de lui fournir les éléments matériels suffisants que pour qu'il construise son autonomie. Nous travaillons également dans l'optique que les images de la vidéosurveillance et le rapport rendu par le conducteur du métro soient utilisés dans la future enquête que Mohammed appelle de ses voeux. Une demande d'accès au dossier répressif a été envoyé par le conseil de Mohammed auprès du procureur du roi. Nous attendons une réponse dans les jours à venir."

Insistant également sur la reconnaissance d'une responsabilité d'un tiers, Mohammed demande que la STIB puisse rendre des comptes et assurer la prise en charge difficile de ses soins.

Mohamed aimerait pouvoir marcher et a donc échangé avec les médecins sur l'opportunité du placement d'une prothèse. Les médecins lui ont tout de suite répondu que les coûts liés à ces prothèses étaient trop importants (180.000 euros de coûts prévisionnels).

Une suite encore à déterminer pour le futur de Mohammed

Contraint de destiner son futur au linceul de l'indigne hospitalité belge, Mohammed n'a plus d'autres choix que d'évoquer son récit dans l'espoir qu'une enquête n'ouvre la voie d'une réparation tant espérée. Mohammed, sans-papier marocain est actuellement dans l'attente qu'une main responsable n'ouvre la boîte noire de sa tragique histoire. Cette main responsable viendra-t-elle de la STIB qui de part le contexte et le lieu de l'incident est directement mêlée et devrait, si les conclusions de l'enquête l'exigent, s'impliquer dans les futures réparations attendues par Mohammed ?

Une audition policière de Mohammed qui deux mois après l'incident, n'a toujours pas eu lieu, permettrait-elle de tisser une exhaustivité d'information au dossier répressif ouvert par le procureur du Roi ?

Toutes ces questions et tant d'autres devront trouver des réponses, en attendant Mohammed patiente avec anxiété et espère que son futur connaîtra des jours meilleurs.