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Après l’opération « coup de poing » de samedi dernier qui avait tout d’une rafle (sur 56 personnes arrêtées, 49 étaient sans-papiers), voici l’opération « coup de mains » de ce jeudi 31 août. 

Prévenu à l’avance par circulaire, le centre d’études, de coordination et d’orientation pour les acteurs de l’aide d’urgence/d’insertion opérant auprès des personnes sans-abri (Bruss’Help) a pris les devants depuis hier pour donner le coup de main nécessaire à la police fédérale afin d'"orienter" les derniers vagabonds et indigents qui osent encore s’aventurer dans et à proximité de la gare du Midi.

Intitulée « Action urgente d’information aux ayants droit de la gare du Midi, en amont de l’évacuation policière fédérale du 31/08 », l’alerte lancée par Bruss’Help avait pour but de demander à toutes les maraudes et équipes mobiles actives sur le périmètre de la gare du Midi et de ses abords « "d’entrer en contact […] avec les personnes sans-abri pour les prévenir du jour et de l’heure de cette opération fédérale ».

Le mot semble avoir bien tourné depuis hier et l’opération de communication préventive de la police fédérale a parfaitement fonctionné avec une grande économie de moyen. Coup double pour la ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden (CD&V) qui n’a même plus besoin de se déplacer. En effet, la rafle de samedi a constitué l’opération punitive qui a créé l’effet de terreur nécessaire à toute nécropolitique libérale de relégation. Les personnes sans-papiers et sans domicile ont été arrêtées, déplacées et suffisamment mise sous pression pour ne plus oser s’aventurer dans le secteur. 

Une guerre aux pauvres sous pression du fédéral

Le dispositif policier jusqu’à 20h00 était le suivant : équipes d’infirmier.e.s, du Samusocial, Médecin du monde, DUNE asbl, etc. présentes en amont pour pousser les dernières personnes sans domiciles et/ou sans-papiers à quitter les lieux, vers 14h, avec la présence du bourgmestre de Anderlecht, de son chef de cabinet et de la presse (RTBF, DH, Cité24, BRUZZ, etc.), à partir de 15h un dispositif policier fédéral pour soutenir les patrouilles de façon à créer un effet dissuasif, contrôle par Securail avec un renfort policier des billets de train pour pouvoir accéder aux quais. Les derniers indésirables sont arrêtés. 

On repousse les vagabonds, les indigents, on arrête les sans-papiers de façon à reléguer la pauvreté loin des gares et du Nouveau Centre Touristique Good Move et ce aussi en préparation des JO de Paris qui devraient voir transiter par la gare du Midi un grand nombre de voyageurs. Le CD&V peut ainsi montrer à son électorat flamand réactionnaire une image interventionniste policière à très peu de frais et avec un franc coup de main de la société civile technique. Les acteurs du secteur concerné se sentent instrumentalisés, ils ont la franche impression d'avoir fait le travail pour la police. Le narratif libéral autoritaire que soutien aussi le MR qui veut « reconquérir Bruxelles » est que les bourgmestres socialistes ont laissé pourrir Bruxelles et qu’il faut maintenant une grande opération de nettoyage fédéral qui se fait dans leurs dos. D’ailleurs les cartes blanches qui ont ces derniers mois préparées le terrain à Verlinden sont principales le fait de petits propriétaires et entrepreneurs.

C’est Jean Spinette (PS), le bourgmestre de Saint Gilles qui a raison. La situation actuelle est largement la conséquence de la pression exercée sur Bruxelles par le CD&V, la NVA, le VLD, le VB et le MR à travers un refus de tout accès légal au marché du travail pour les travailleurs sans-papiers, ce qui de fait les plonge dans la clandestinité et la précarité. Spinette a raison de renvoyer le problème ainsi produit au fédéral. Parce que pour l’arc libéral autoritaire c’est trop facile de prétexter des effets de cette politique pour accuser le PS Bruxellois. La bataille de la gare du Midi comme de la Gare du Nord s’inscrit clairement dans le rapport de force autour de la prochaine réforme de l’Etat. Tout est fait pour rendre Bruxelles ingouvernable, pour forcer la fusion des zones de police et mettre la capitale sous tutelle. 

Prendre au sérieux la pénurie de main d'œuvre (prospective)

Il faut cependant prendre le problème sous un tout autre angle pour le repolitiser. D’ici en 2050, l’Europe comptera 95 millions de travailleurs en moins qu’en 2015. La carence représentera entre 11 et 14 millions de personnes en Allemagne, et 5 à 8 millions en France. La Belgique n’est pas en reste, le taux de remplacement des actifs montre une tendance critique à l’horizon 2030 dans la mesure où la proportion de personnes âgées de 55 ans et plus qui sortiront du marché de l’emploi sera plus importante que celle des jeunes qui y accéderont.

Cette crise démographique prévisible et largement annoncée entraînera et entraîne déjà des tensions budgétaires importantes ainsi qu’un ralentissement de la croissance économique, à travers le renforcement des pénuries de mains-d'œuvre. Ni l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail, ni l’allongement de l’âge de la retraite, ni l’automatisation des tâches ou l’externalisation des postes ne suffiront à résorber un tel déficit. D’après l’ONU, si rien ne change, les travailleurs immigrés ne combleront qu'entre 23 et 30% du manque total de travailleurs en Europe en 2050. Le besoin de mains-d'œuvre est et sera de plus en plus criant dans les décennies à venir.

Dans son rapport « Strategic Workforce Planning », la fédération Agoria pointe un gain net de 630.000 emplois sur l’ensemble de la Belgique à l’horizon 2030. Elle émet également le scénario d’un volume minimum de 560.000 emplois dans des métiers en pénurie si aucune action n’était entreprise pour rééquilibrer l’offre et la demande d’emplois, ce qui ne ferait qu’accroître la pression sur le marché du travail. De son côté, Charles Kenny, l'auteur du dernier rapport du Center for Global Development l’affirme : « il y aura un réel besoin de migrants dans les secteurs touchés par le vieillissement des populations, comme les services de santé et de soins.. ».

« Sans les travailleurs migrants, nous n'y arriverons pas »

Le problème du besoin de travailleurs immigrés en Belgique et particulièrement en Flandre est tellement criant que le Voka veut faire venir des travailleurs migrants d'Inde et du Mexique. L'association patronale flamande a un besoin urgent de remédier à la pénurie de personnel. Elle déclare : « Sans les travailleurs migrants, nous n'y arriverons pas ». « Cela fait cinq ans que nous le demandons », insiste Bert Mons, directeur général du Voka.

À défaut de régulariser les travailleurs sans-papiers déjà présents en Belgique qui parlent les langues véhiculaires du pays et y sont intégrés avec des attaches durables, le Voka est contraint de devoir mener des missions d’exploration au Mexique et en Inde en collaboration avec la KU Leuven, l'UZ Leuven et le VDAB. La peur de l’extrême-droite confine à l’absurde. Alors qu’il existe dans les travailleurs sans-papiers présents en Belgique bon nombre de personnes qualifiées pour travailler dès demain matin dans le secteur de la santé, la Flandre est obligée de se tourner vers le Mexique et l'Inde, mais aussi le Brésil, les Philippines et la Malaisie.

Le Voka estime que la Flandre occidentale aura besoin de 77.000 travailleurs supplémentaires d'ici à 2030. On va donc aller chercher des travailleurs de pays lointains qu’on va former et intégrer, dont va aider les familles à trouver un logement, une école, etc. alors qu’il y a suffisamment de travailleurs sans-papiers compétents aptes à travailler dès demain matin.

Le modèle sociale de la régularisation par le travail est une réponse

Le projet pilote Mintus, basé à Bruges, indique que le modèle de cette nouvelle immigration choisie a tout du modèle ultra-libéral chinois : les travailleurs étrangers sont sélectionnés et formés dans le pays d’origine, reçoivent une formation en néerlandais strictement limitée aux tâches professionnelles avant de venir en Flandre. Les aides-soignants indiens sont ensuite déployés dans un centre de soins résidentiels, une sorte de camp pour travailleurs étrangers. 

Alors au modèle chinois ultra-libéral d’immigration choisie et pendulaire, il faut opposer le modèle sociale de la régularisation par le travail. C’est ce que propose Elio Di Rupo (PS) et nous devons pousser dans ce sens. Jusqu’à quand allons-nous jouer les pompiers de la politique pyromane xénophobe du libéralisme autoritaire ?

Cette année électorale sera décisive, il est temps d’élever la débat et de proposer une politique prospective écologiste de gauche plutôt que de subir la transformation de la gare du Midi en jouet sécuritaire au profit du CD&V.