Dans la nuit du 15 août, un conducteur, immobilisé par la Brigade Anti-Criminalité (BAC), tente de s'enfuir. Deux policiers lui tirent dessus à 9 reprises au milieu des barres d'immeubles de cette cité du 93. Une vidéo de la scène devient virale. La police y répond par une contre-vidéo avec sa version des faits... Un journaliste de Cité24 est retourné sur les lieux du drame. Reportage.


A Stains, seuls une trace de sang et des morceaux de vitres brisées témoignent de la violence survenue la nuit précédente le long du Boulevard Maxime Gorki. Un homme filme les lieux de la scène en attendant le bus. Celui-ci habite l'immeuble face à la route, mais assure n'avoir rien entendu au moment des faits. Incrédule, il explique à son ami qu'il ne comprend pas comment une telle fusillade a pu se dérouler.

Stains, une ville tranquille

Comme lui, les habitants du quartier cherchent à comprendre. La crainte et l'émotion sont dans toutes les conversations. Car il ne s'agit pas d'une ville habituée à la violence...

"Le quartier est calme, on est pas loin des endroits chauds mais ce n'est pas dans cette ville que vous verrez trafics et règlements de comptes." explique Greg C., habitant de Stains, avant de reprendre, comme pour se justifier : "Ce genre d'actes policiers peuvent être dangereux dans les cités. Les gens sont tous descendus des immeubles après avoir entendu les coups de feu. Dans d'autre villes, la foule aurait pu s'en prendre aux policiers et mettre le feu au commissariat. Le maire à eu raison de s’inquiéter mais Stains est plus tranquille que les autres ville."

Le fait que les deux automobilistes blessés par balles ne sont pas des habitants du quartier explique, peut-être, l'absence de retour de flammes voire d'émeutes.

"Il ne faut surtout pas avoir affaire à eux"

Dans chaque conversation, ce sont les mêmes arguments qui reviennent. Fuir un contrôle de police n'est pas très malin mais est-il nécessaire de tirer sur les gens, conducteur comme passager, au risque de toucher une tierce personne pour réprimer un banal excès de vitesse ? D'autant que, sans identification formelle des policiers, le doute a pu s'insinuer dans la tête du conducteur. Et s'il s'agissait d'un braquage ?

A Stains, la question des violences policières est partout, car nombreux sont ceux à en avoir fait les frais. A l'instar de ce jeune du quartier, témoin de la fusillade, qui explique sous les regards approbateurs de ses amis : "Pas de doute, ce sont bien des policiers du coin. Ici, il ne faut surtout pas avoir affaire à eux au risque de passer un sale moment. Ils n'hésitent pas à se montrer menaçants voire à s'en prendre physiquement à vous si votre tête ne leur revient pas." A 17ans seulement, l'adolescent affirme avoir déjà été dans le collimateur de la police. "Au poste, ils profitent du fait que vous soyez seul et sans témoins. Ils se lâchent, car ils savent que personne ne pourra les contredire."

Damage control

Il est vrai que la veille, les forces de l'ordre n'avaient visiblement pas prévus qu'un automobiliste les filmerait en pleine intervention. Les méthodes utilisées lors de l'opération sont si peu orthodoxes que la préfecture s'est empressée de tourner une contre-vidéo dans la matinée. Un "damage control", comme disent les Américains, révélateur d'une faute commise que l'on cherche à diminuer.

Sur le ton de la confidence, un père de famille nous raconte : "J'ai le sentiment que cela ne serait jamais arrivé à Versailles ou dans le centre de Paris. Ils se permettent d'arrêter les voitures, tout de noir vêtus, le pistolet à la ceinture sans moyens d'identification, pour se donner des allures de mafieux. Ils savent qu'il n'y a que des personnes d'origines étrangères dans le coin. Ils sont là pour faire peur aux habitants du quartier. Il n'y aura pas de répercutions judiciaires ou médiatiques car les gens sont pauvres et ne savent pas défendre leur droits."

Nouvelle fusillade policière à Rosny-sous-Bois


A ce moment précis, la préfecture informe, sur Twitter, que d'autres policiers ont fait usage de leur armes contre un autre conducteur refusant d’obtempérer. Cette fois, à Rosny-sous-Bois, toujours en Seine-Saint-Denis (93). La vidéo ne tarde pas à circuler sur les réseaux sociaux. Le point de vue est celui d'une passagère d'un bus assistant aux multiples coups de feu tirés par les agents motorisés, sous les cris de paniques des usagers couchés au sol.


Les policiers ayant fait feu sont visés par une enquête pour "violences volontaires avec arme par personnes dépositaires de l'autorité publique", a indiqué le parquet de Bobigny.

Quant au conducteur en fuite, toujours selon le parquet, blessé au cou par les tirs policiers, il s'est présenté à l'hôpital. Ses jours ne sont pas en danger. Âgé de 30 ans, il fait, lui, l'objet d'une enquête pour "refus d'obtempérer aggravé" et "violences avec arme" ; son véhicule étant considéré comme une arme par destination.

Que dit la législation française ?

Ces deux faits divers, similaires et si rapprochés dans le temps, nous interrogent sur la "nécessité" de faire feu pour un refus d'obtempérer ? Selon l'article L435-1 du Code de la Sécurité Intérieure : "Dans l'exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale [...] peuvent, faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée "

Selon le paragraphe 4 de l'article L435-1, l'usage de l'arme administrative, dans le cas d'un refus d’obtempérer par un automobiliste, est autorisé lorsque les policiers : "ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui "

Dans chaque cas, l'enquête devra déterminer si "l'absolue nécessité" et la "stricte proportion" pour arrêter le véhicule ont été rencontrées.