Le 5 septembre 2023, des actes de violence négrophobes ont été signalés à l'école primaire d'enseignement spécialisée de Nalinnes, dans la province du Hainaut, en Belgique. Le récit de ces événements repose sur les témoignages de Mathis, sa maman ainsi que sa sœur également présente lors des faits (réalisés le 7, 8 et le 11 septembre), sur base de la rencontre avec l’école, sur les déclarations du parquet de Charleroi ainsi que sur les communications de la direction de l’établissement.

Depuis que les images de l’agression policière contre Mathis tournent sur les réseaux sociaux et que les médias internationaux ont donné de l’écho à ces violences négrophobes (insultes, provocations, placage ventral, poursuites pénales, etc.), la Communauté Wallonie Bruxelles a été contrainte de répondre.

Dans un communiqué qui vise à éteindre la colère légitime devant une telle violence contre un petit enfant de 9 ans, la Communauté Wallonie Bruxelles reprend la version policière qui restitue les événements sous le prisme d’une « crise » exagérée de la part de Mathis qui ne correspond pas aux faits et évacue complètement la responsabilité de l’établissement et de la police.

Deux plaintes sont en cours contre Mathis et sa maman suite à un pv rédigé par les policiers présents pour le procureur du roi de Charleroi. Dans un tel contexte, nous nous devons de rétablir une vérité chronologique des faits de façon à instruire une proposition juste des responsabilités dans cette affaire.

Chronologie des violences négrophobes contre Mathis

  • Vers 13h : Altercation dans la cour de récréation à la suite d’un match de foot impliquant Mathis et ses amis, croches pied, bousculades, insultes. Pas d’intervention des éducateurs présents dans la cour. Plus tard, nouvelle altercation : tacle, l’enfant en question insulte Mathis de « sale noire » (ce qu’il avait déjà fait peu de temps auparavant) et lui donne un coup de pied. Mathis s’oriente vers les éducateurs qui ont assisté à la scène pour qu’ils interviennent, mais ceux-ci, ne s’orientent pas vers l’enfant qui a insulté et tapé Mathis mais mettent Mathis à l’écart et le contiennent dans un coin de la cour (quelques jours avant le même élève avait déjà insulté Mathis qui s’était rendu dans le bureau d’un assistant social qui avait alors pu parler à Mathis, appeler la maman et résoudre le conflit d’une façon non policière). Pendant ce temps, l’autre enfant a pu continuer à jouer librement sous les yeux de Mathis.
  • Assistant à cette inégalité de traitement, Mathis s’énerve. Un ouvrier intervient peu après et immobilise Mathis à l’aide d’une clef de bras à la demande de la directrice. Mathis est une première fois contenu longuement.
  • L’école appelle la police (on n’a pas encore d’idée précise de l’heure) mais celle-ci n’arrive pas tout de suite (+/- 40 minutes plus tard). À aucun moment la maman ne reçoit une information correcte sur l’opération policière en cours.
  • 14h23 : L’école appelle une première fois la maman puis le beau-père qui demande à avoir Mathis au bout du fil, ce qui lui est refusé. L’école signifie que la police est en chemin. Comme il ne peut venir chercher Mathis, il n’a pas de voiture à sa disposition, l’école propose que la police ramène elle-même Mathis, ce que le beau-père évidemment refuse.
  • La police finit par arriver à l’école (on ne sait pas précisément à quelle heure) et se rend directement dans le bureau de la directrice. L’ouvrier qui maintenait Mathis passe le relais à une des policières qui le surveille à l’extérieur.
  • Le briefing entre la police et la direction dure une bonne demi-heure. On n’a aucune idée de ce qui se dit à ce moment-là entre la police et la direction.
  • À la sortie de cette réunion, Mathis toujours profondément blessé par l’absence de prise en main de l’injustice et des insultes racistes subies dans la cour de récréation, interpelle la directrice.
  • Un des trois policiers qui sort du bureau de la directrice s’adresse à l'enfant en lui disant : « T'es un gangster toi ! » (on se demande donc ce qui a bien pu être dit lors de ce briefing pour que le policier s’adresse ainsi à Mathis). Il se jette alors littéralement sur lui, le plaque contre le mur, le balaie, et le projette contre le sol. Il le maintiendra en situation de placage ventral durant un long quart d’heure. À plusieurs reprises Mathis suffoque.
  • La mère rappelle l’école à 15h34 pour signaler qu’elle est en chemin.
  • Avant l’arrivée de la mère, le policier menace et provoque Mathis en lui disant que si sa maman « fait la maligne », il n’hésitera pas à exercer cette technique du placage ventral sur elle.
  • La mère de Mathis arrive à l’école vers 16h00 et découvre son fils plaqué au sol, sous le poids d’un policier de 80/90kg. Se sachant filmée, une des policières s’adresse à Mathis en lui disant : « Mathis maintenant que ta maman est là, tu vas te calmer ? » (Mathis a déjà été ‘maîtrisé’ bien plus tôt par un ouvrier à la demande de la direction. À ce moment-là, il était calme, dans le couloir, et sous la surveillance d’une policière). La policière poursuit : « Tu insultes maman à la maison ? » (de nouveau se pose la question de la réunion préparatoire avec la police qui semble orienter et coder l’opération de police en cours). La mère répond alors que Mathis ne l’a jamais frappé. La policière interrompt violemment la maman : « C’est à Mathis que je m’adresse ». Devant la caméra, le policier qui maintient Mathis au sol fait alors mine de le relâcher : « Je ne le lâcherai pas tant qu’il ne dira pas qu’il est calme ». Après avoir longuement maintenu Mathis au sol, le policier finit par le relâcher.
  • La mère demande ensuite à pouvoir parler avec la directrice. Une réunion a lieu avec cette dernière ainsi qu’avec la police lors de laquelle la mère pose des questions de façon à comprendre ce qui s’est passé et pourquoi la police a-t-elle été appelée. La directrice répond que « La situation était intenable », la policière répond de son côté que c’est parce que la maman n’a pas répondu, « On n’a pas que ça à faire ». La maman signifie qu’elle va devoir partir parce que le taxi l'attend, la policière la menace alors de rédiger un pv contre son fils pour motif de « Mise en danger sur mineur », parce qu’il se serait mis en danger lui et les autres.
  • Un p.v. circonstancié a en effet été rédigé à charge contre Mathis pour « mise en danger contre mineur » et « indiscipline » et contre la maman pour bashing contre la police (probablement « Atteinte à l’image de la zone » sur le plan pénal).
  • Le parquet de Charleroi confirme réception des poursuites. À propos de Mathis, le procureur du roi de Charleroi Vincent Fiasse déclare « c’est un comportement assez problématique et cela risque probablement d’être renvoyé devant les services d’aide à la jeunesse pour éventuellement prendre en charge l’enfant et son comportement ». Le parquet confirme également qu’ « un procès-verbal a été rédigé pour le procureur du roi de Charleroi ( ). La maman du mineur a décidé de filmer la scène et de faire ce qu’on appelle du bashing alors que les policiers ont simplement fait leur travail (…). Avec cette vidéo, on risque fort d’attaquer les policiers, mais il faudra aussi que la maman assume ses responsabilités (…) Si nos collègues sont attaqués, nous les défendrons », a confirmé le chef de corps à la RTBF, le 7 septembre 2023.
  • La directrice de l’école déclare dans la presse traditionnelle que l'opération de police et les multiples violences subies par Mathis dans la cadre de son institution se sont passées avec « bienveillance ».

Analyse : le rôle de la négrophobie 

Il faut comprendre que la négrophobie ici n’est pas entièrement contenue dans l’insulte de « sale noir » émis par un élève de la cour, même s’il s’agit d’un des motifs mais dans la gestion des mesures de « contention » préventives d’une « colère noire » fantasmée par l’école.

Le motif de la « contention » s’articule en trois séquences : d’abord Mathis est mis à l’écart et ceinturé par trois éducateurs suite à la bagarre avec l’autre élève (Mathis est en quelque sorte mis à l’isolement tandis que l’élève qui l’a insulté et tapé peut retourner jouer sous le regard de Mathis, c’est cette seconde injustice qui met Mathis en colère d’autant que la veille Mathis avait déjà été insulté par ce même élève), ensuite Mathis est immobilisé par un ouvrier à la demande de la direction avec une clé de bras plusieurs minutes, enfin après le briefing avec la police un policier lui fonce dessus le pousse contre le mur, le balaie, puis le maintient au sol longuement.

La négrophobie se déploie et se décuple dans ce nouage police-école qui en démultiplie les scènes. L’école par exemple se permet d’appeler la police sans avertir les parents. Lorsque la police arrive dans l’établissement, Mathis est déjà calmé depuis longtemps. La police n’intervient pas directement sur Mathis mais se rend d’abord dans le bureau de la directrice pour un briefing opérationnel.

Briefing école/police

On ne sait pas ce qui se dit durant ce long échange entre l'école et la police mais il s’agit d’une des scènes importantes qui autorise la débauche de violence contre Mathis dans la mesure où elle code cette violence raciste. Durant toute cette réunion, l'enfant est à l’extérieur sous la surveillance d’une policière. C’est en sortant de cette réunion que le policier lui tombe littéralement dessus et l’immobilise en l’interpellant en tant que « brigand ».

On l’oublie vite à cause de la négrophobie ambiante mais Mathis est un petit enfant de 9 ans. Le policier le balaie, le colle contre le mur puis le plaque au sol, plus de 10 minutes avant que la mère n’arrive. La directrice assiste à l'agression policière et n’intervient à aucun moment pour interrompre cette violence. C’est donc la direction qui construit le cadre permissif pour cette débauche de violences racistes sur un petit de 9 ans.

La directrice demande à l’ouvrier d’immobiliser une première fois Mathis, c’est ensuite la directrice qui laisse le policier s’en prendre avec une extrême violence à Mathis dans l’établissement dont elle est responsable. L’insulte raciste et le placage ventral ne sont que deux bouts d’une chaîne négrophobe qui invisible l’action de l’institution scolaire de Type 3 dans son alliance avec la police.

Le calvaire négrophobe de Mathis et sa maman Rita Nkatbanyang ne s’arrête pas là. Alors que l’école est responsable d’avoir appelé la police et d’avoir à plusieurs reprises abusé de violence contre son garçon, c’est aujourd’hui Mathis et sa maman qui font l’objet de poursuites pénales. Un long combat juridique s’amorce, c’est pour cela qu’une cagnotte solidaire a été lancée pour aider la maman de Mathis dans ce combat pour la justice.