A bout de forces, les sans-papiers continuent d'exiger "la reconnaissance de leurs droits". Le secrétaire d'Etat Sammy Mahdy ne leur en reconnaît aucun. Et leur a sorti une énième diversion. Résultat : plusieurs occupants de l'ULB, la VUB et du Béguinage ont démarré une grève de la soif qui s'ajoute à leur refus de s'alimenter. Si rien ne bouge, l'incident mortel se produira dans 96 heures.

Depuis ce vendredi 16 juillet, une nouvelle étape de radicalisation a été franchie par plusieurs sans-papiers, déjà très mal en point après 55 jours de grève de la faim. Suite à "l'absence de volonté politique de trouver une solution raisonnable et négociée sur la base légale avancée par l'USPR", Omar, l’un des porte-parole de l'Union des Sans-Papiers pour la Régularisation (USPR), a déclaré : "Une bonne partie des grévistes a été contraint de débuter une grève de la soif".

Selon plusieurs sources proches des grévistes : la terrible décision a été arrêtée, ce jeudi, par une dizaine de sans-papiers occupant les sites de l’ULB et de la VUB. A l'église du Béguinage, la majorité des occupants ont décidé d'entamer leur grève de la soif dans la nuit de vendredi à samedi. Pour rappel : le refus de boire, pour une personne en bonne santé, conduit inexorablement à la mort en 4 ou 8 jours.

Que signifie faire une grève de la faim et de la soif ?

Précisons d'abord qu'autour du 40 ème jour de jeûne, les grévistes tombent malades. Leurs symptômes sont les suivants : perte d’audition ; troubles oculaires (notamment vision dédoublée) ; ataxie (tremblements) ; dysarthrie (difficultés d’élocution) ; nausées et vomissements ; Ictère (coloration jaune de la cornée) ; hémorragies du tube digestif ou encore apathie et sautes d’humeur, sans diminution des facultés mentales.

Cette phase de confusion majeure précède celle où le gréviste entre dans le coma et meurt. Le décès survient généralement entre le 55 ème et le 75 ème jour de jeûne. Selon une étude sur la prise en charge des grèves de la faim, publiée dans le World Medical Journal, les grévistes "risquent de mourir après six semaines de jeûne et il est presque impossible de survivre à dix semaines de jeûne complet". Celles et ceux de l'ULB, de la VUB et du Béguinage en sont à leur septième semaine de grève de la faim...

Autrement plus rapide et dangereuse est une grève de la soif. Le gréviste ne survivra pas plus d’une semaine sans boire. Selon un guide de l'OMS sur la santé en milieu carcéral, en fonction de la température et de l’humidité ambiantes comme de l’anxiété psychologique, "le décès survient dans les quatre à dix jours".

Zone neutre ou le cynisme de Sammy Mahdi

La décision extrême est aussi motivée par les dernières déclarations du secrétaire d’État à l'Asile et aux Migrations. A sa grande "trouvaille", en début de semaine, d'ouvrir une "zone neutre" pour calmer les "vives" et trop tardives inquiétudes du PS et d'Ecolo. Dans cette zone, située à proximité de l’église du Béguinage, les sans-papiers peuvent recevoir des informations sur leur situation administrative et "des éclaircissements" sur les procédures. L'énième décision de gagner du temps de Mahdi a fâché les grévistes qui y ont vu une volonté de briser leur mouvement sans répondre concrètement à leur situation. Jeudi 15 juillet, comme d'habitude, Sammy Mahdi n'en avait cure et tweetait : "Premier jour de la zone neutre, cinq personnes sont passées. Prometteur."

Avec son cynisme abject, Mahdi campe sur son refus de toute régularisation collective et/ou de la délivrance d'un permis de travail pour les sans-papiers. Des hommes, des femmes et des enfants survivant en Belgique depuis 10, 15 ou 20 ans et qui endurent un esclavage moderne ; étant "payé.e.s" de 3 à 5 € de l'heure par des employeurs souvent véreux, racistes et agresseurs sexuels. Mais "ça", c'était avant le Coronavirus...

"Les occupants demandent simplement un accès légal au marché du travail, ce qui est parfaitement dans les compétences du gouvernement. En l’absence de garantie suffisante, l’introduction de dossiers via ladite zone neutre ressemble fort à une volonté de casser le mouvement", estime l’USPR dans son communiqué.

L'ultime appel dans le désert de Moutquin

A la pointe du combat politicien pour trouver une solution au blocage, Simon Moutquin (Ecolo) ne cesse de négocier en coulisses. Depuis des semaines, des jours, des nuits. Sans la moindre avancée politique concrète. Le mur du refus reste cimenté, jour après jour, par le CD&V, l'Open VLD, Vooruit (ex-socialistes flamands)) et le MR. Dès la nouvelle de la grève de la soif connue, Simon Moutquin a posté sur Facebook un message à l'adresse de Sammy Madhi. Comme une dernière tentative qui en dit long sur l'amertume et la colère du député fédéral :

"Monsieur Mahdi, des Églises vous ont écrit. Des syndicats vous ont écrit. Un grand Rabbin de Bruxelles vous a écrit. Des patrons vous ont écrit. Des prix Nobels vous ont écrit. Des présidents de partis vous ont écrit. Des députés européens vous ont écrit. Des chanteurs, des dessinateurs, des virologues vous ont écrit. Des milliers de citoyen.ne.s vous ont écrit. Penser que nous, qui vous écrivons, serions responsables de susciter « en vain » l’espoir de ces personnes, c’est ne pas comprendre les racines de leur désespoir et de leur détermination. "

Ensuite, le député écologiste déplie, pour la centième fois, une évidence : "L’origine de ce mouvement n’est pas à chercher dans des cartes blanches, des tweets ou des e-mails envoyés à 03h du matin, mais bien dans des années de déni que nous, politiques, infligeons à ces personnes dont on ignore l’existence et auxquelles on refuse une solution structurelle. 100.000 personnes qui sortent ruinées de plus d’un an de pandémie après 10, 20, 30 ans d’exploitations sur notre territoire."

La dignité contre l'ignominie

On le sait : aucun des 7 partis, membres de la coalition Vivaldi, ne veut risquer de faire chuter le gouvernement sur le dossier des sans-papiers. Alors, sous le regard effaré des médias du monde entier, se poursuit une valse belgo-blanche et chronophage sur fond de souffrances "étrangères". D'un côté, d'interminables et infructueuses "négos" de l'ombre ; de l'autre, 470 personnes sans-papiers, ultra-déterminées, qui jettent leurs dernières forces dans la bataille.

Car, à tort ou à raison, c'est le seul moyen de pression qu'il leur reste : tenir, ne pas faire marche-arrière, conserver sa dignité. Comme l'a écrit le philosophe Norman Ajari : "La dignité est la capacité de l'opprimé à tenir debout entre la vie et la mort"... A cette heure-ci, aucun être humain sans-papiers n'est décédé de famine à Bruxelles. Mais pourront-ils, toutes et tous, préserver leur dignité sans y perdre la vie ?

"Ce soir, alors que vous tweetez le succès de cette « zone neutre », que certains grévistes réfutent, plusieurs personnes annoncent une grève de la soif et donc, une accélération de leur mise en danger", poursuit Simon Moutquin. "Monsieur Mahdi, j’ai soutenu un accord [de gouvernement] qui ne prévoyait pas de régularisation mais jamais je ne soutiendrai un gouvernement qui laissera mourir quelqu’un de désespoir. Les heures sont comptées."

Dans les prochains jours, et dans toute son ignominie, cette question demeure d'actualité : des sans-papiers vont-ils mourir à cause de l'inhumanité du gouvernement belge ?