C'est en tout cas ce qu'il ressort de l'enregistrement entre Nicole de Moor et l'USPR (Union des Sans-papiers pour la Régularisation) publié en exclusivité sur Cité 24. Ces conversations sont d’une importance capitale car elles sont de nature à prouver les engagements pris par le cabinet de Sammy Mahdi envers les représentants de l’USPR le 11 juillet 2021.

Depuis la publication en novembre 2021 de la vidéo de Freddy Roosemont, directeur de l'OE (Office des étrangers), le Comité d'Action pour l'accès légal au marché du travail des personnes sans-papiers a tenté à de multiples reprises de faire publier dans la presse des audios d’une négociation capitale ayant eu lieu le 11 juillet 2021 à la demande du cabinet Mahdi, avec Freddy Roosemont et l’USPR. Il nous semble aujourd’hui nécessaire de les rendre publics.

« C’est une offre que je mets sur la table »

Ce qui est dit dans ces audios, c’est qu’il y a une négociation entre l’USPR et Sammy Mahdi, « il y a pas mal de choses sur la table », « C’est une offre que je mets sur la table », propose Sammy Mahdi. Freddy Roosemont comme Nicole de Moor répète le cadre de cet accord : la levée de l’examen de la recevabilité, l’accès prioritaire mais surtout les critères comme l’intégration, le long séjour, l’ancrage, des membres de la famille présents en Belgique, etc. Ce qui constitue à l’évidence un élargissement du cadre du 9bis, ce qui sera appelé le « cadre de référence » négocié pour l’introduction des dossiers et sur base duquel la grève de la faim sera suspendue le 21 juillet.

Dans ce premier extrait, Nicole de Moor, cheffe du cabinet de Sammy Mahdi, prend la parole après Freddy Roosemont, en insistant sur : « Comme le directeur général a expliqué, il y a pas mal de choses qui sont sur la table, on veut vraiment avoir cette discussion avec vous, et de vous demander de saisir cette opportunité ».
Nicole de Moor ajoute : « La migration de travail, l’asile, le regroupement familial, ça existe. Il y a beaucoup de critères dans les autres statuts, mais la régularisation ça veut dire qu’on fait une exception pour certaines personnes. Certaines personnes entre vous, entre les personnes qui sont à l’église, il y a les universités maintenant, peuvent faire valoir cette exception s’ils demandent une procédure 9 bis » (…) « on tient compte de tous les éléments du dossier, on tient compte des éléments d’intégration et tout ça, donc vraiment on tient compte des éléments ».

Audio de la rencontre avec le cabinet de Sammy Mahdi, prise de parole de F.Roosemont et Nicole de Moor.

A la lecture de l’ensemble des réponses fournies par l’Office des Etrangers aux grévistes, il est clair que les éléments de longue procédure, de long séjour, d’intégration, d’ancrage, de liens avec la société belge, de travail, de formation, etc. n’ont pas été pris en compte dans l’analyse. C’est ce qui explique le taux extrêmement important d'avis négatifs. La réponse, d’un cynisme crasse, de l’Office des Etrangers n’a jamais variée : comme les relations et actions d’intégration ont été réalisées durant un « séjour irrégulier », on ne peut les prendre en compte. « Vous êtes sans-papiers, vous êtes condamnés à le rester, veuillez quitter le territoire même si vous êtes présents depuis de nombreuses années, même si vous avez de la famille en Belgique, même si vous êtes intégrés, même si vous n’avez plus aucun lien dans votre pays d’origine, etc. ». Les réponses données par l’Office des Etrangers sont donc en contradiction totale avec les paroles des membres du cabinet Sammy Mahdi lors de négociations avec l’USPR. Il est donc clairement démontré que le cadre de référence négocié par les différentes parties du conflit n’a pas été respecté par le cabinet dont Nicole de Moor était la cheffe.

Le gouvernement Vivaldi a-t-il respecté les accords ?

Ce que montre l’affaire de l’USPR à travers le non-respect du cadre de référence négocié sous la responsabilité du Premier ministre et des Vices-premiers ministres, c’est que la Vivaldi n’a aucun contrôle sur la politique migratoire de l’OE. Dans cette tragédie ce n’est pas seulement l’USPR qui s’est fait dupée mais c’est tout le gouvernement qui se retrouve à endosser la politique de la NVA malgré lui à cause du CD&V. Aujourd’hui, le trouble Sammy Mahdi passe la main à Nicole De Moor. Il nous paraît raisonnable que cette dernière, afin de restaurer une confiance indispensable et sérieusement écornée par son prédécesseur s’explique sur les négociations de mai/juin/juillet 2021 avec l’USPR et les raisons pour lesquels cet accord a été saboté. Il en va de la crédibilité de la parole politique du gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous publions aujourd’hui ces audios.

« On avait besoin d’avancer certains éléments, d’essayer de faire certains pas »

Dans ce deuxième extrait, Sammy Mahdi évoque le chiffre de 50 % de demande 9bis positives et enfonce le clou, suite à l’incrédulité des grévistes] : « (…) l’office des Etrangers est obligé de communiquer de manière transparente les chiffres de combien de personne ont été régularisée, ils sont obligés de le faire, s’ils ne le font pas, ils ont un gros problème. Donc vous pouvez vous fier à ces chiffres-là. Et quand vous regardez les chiffres de 2010 jusqu’à aujourd’hui, le taux de reconnaissance a augmenté après la situation en Syrie et le nombre de migrants qui sont venus. La même chose par rapport aux Maghrébins, je sais que c’est une idée qui vit, le fait de se dire que les Maghrébins ne sont pas reconnus. Là-dessus aussi, dans les chiffres de nationalité, les nationalités maghrébines sont dedans, très haut même ». [Lors de cette même négociation, le secrétaire d’Etat affirmera également] : « on avait besoin d’avancer certains éléments, d’essayer de faire certains pas, même si de votre côté vous ne voyez pas ça comme des pas, j’ai tout le respect de ce côté là aussi, on peut qu’espérer que la situation s’arrête ».

Audio de la rencontre avec Sammy Mahdi dans lequel ce dernier revient sur les 50% de demande de 9bis positives.

Quel rôle a joué Freddy Roosemont dans les négociations ?

Dans ce troisième extrait, Freddy Roosemont revient sur le taux de réponses positives : « Les régularisations individuelles ont toujours existé et vont toujours exister aussi dans le futur. On est dans un taux positif de plus que 50 %, chaque fois je m’étonne que les gens ne sont pas au courant (…) parce qu’il y a pas de gens qui ont un long séjour avec intégration, avec enfants qui vont à l’école avec peut-être une longue procédure avec des membres de leur famille en Belgique tout à fait en ordre, ou même devenu belge, avec des liens, et un lien avec la société, qu’on ne peut pas nier, qui est clairement là (…) on peut comprendre et on peut aussi accorder un séjour sans retourner via le poste diplomatique, via l’étranger, ce sont tous des éléments, et l’office à l’habitude (…) On voit l’ensemble des dossiers, l’ensemble avec beaucoup d’éléments positifs, parfois aussi quelques éléments plutôt négatifs. Plutôt négatifs c’est des condamnations juridiques graves, … un séjour avec beaucoup d’OQT (…) c’est toujours une balance, on regarde le pour et on regarde le contre ». Le directeur de l’Office des Etrangers présente ensuite le dispositif “zone neutre” : « c’est une offre, on n’a jamais fait ça, c’est tout à fait neuf ».

Le directeur de l'OE affirme : « On n’a jamais fait ça, c’est pour nous c’est assez neuf, mais on veut le faire, parce qu’on veut aussi que l’action se termine ». « C’est une offre que je mets sur la table, je pense que c’est quelque chose d’extrêmement positif, et que beaucoup de gens peuvent s’en sortir ». « Un certain nombre de dossiers sont là (…) si ce sont des gens de l’action avec un ancien dossier qui est en ordre, on veut le faire sortir de la pile et le traiter immédiatement. Si ce sont des nouveaux dossiers mais venant des gens de l’action (…) on veut bien le traiter le plus vite possible. Ça c’est aussi quelque chose qu’en général on ne fait pas (…) Mais ici vu les circonstances, on est bien prêt à faire sortir de la pile et le traiter vite, et je pense avoir une vue claire sur comment les décisions vont se dérouler, c’est une très bonne chose pour tout le monde, pour tous les gens qui prennent part à l’action ».

Freddy Roosemont ajoute : « On va aussi examiner toutes les demandes au fond, une recevabilité qui avant était quand même une sorte de barrière, on ne va pas la prendre en compte, on va traiter les demandes au fond, directement sur les éléments positifs pour un futur séjour, et avec ça j’espère que l’action se termine assez vite ».

Roosemont indique ensuite une série de critères : « les bons éléments ça peut être un long séjour avec une preuve d’intégration, ça peut être le travail, les gens par exemple qui ont travaillé avec une présence légale un an, deux ans, ça peut être les enfants qui vont à l’école, ça peut aussi être des formations, avoir de la famille ici, parfois de la famille très directe, pas que des enfants, mais parfois des grands-mères, des mères qui ont un long séjour légal, qui ont besoin d’assistance aussi, ça c’est un élément important. Avoir des liens directs avec la société belge ».

Freddy Roosemont allié de Theo Francken ?

Ce n’est pas un hasard si le 24 aout 2021, le directeur de l’Office des Etrangers, au moment où son administration est en train de trahir l’accord négocié sous la responsabilité du Premier ministre et des Vices-Premiers ministres, change sa photo de profile au profit d’une photo où on le voit tout sourire aux côtés de l'ancien secrétaire d'État Theo Francken, membre du parti nationaliste flamand N-VA.

Ainsi il annonce clairement qui est son vrai boss et ce n’est à l’évidence ni Sammy Mahdi, ni la Vivaldi. Dans cette tragédie ce n’est pas seulement l’USPR qui s’est fait dupée mais c’est tout le gouvernement qui se retrouve à endosser la politique de la N-VA malgré lui. Aujourd’hui, le trouble Sammy Mahdi passe la main à Nicole De Moor.

Extrait audio de la rencontre avec le DG de l'Office des étrangers, F.Rossemont, dans lequel ce dernier revient sur le cadre de référence négocié.

Nicole de Moor devrait-elle être interrogée au parlement sur le rôle qu'elle a joué dans les négociations ?

Aujourd’hui Nicole De Moor qui était alors cheffe de cabinet succède à Sammy Mahdi au Secrétariat d’Etat à l’Asile et à la Migration et il nous paraît essentiel, à cette occasion, que toute la lumière soit enfin faite sur les mensonges et les duperies de l’ancien secrétaire d’Etat puisqu’à l’évidence les auditions en Commission Intérieur n’ont pas permis d’épuiser la question. Il nous paraît raisonnable que cette dernière, afin de restaurer une confiance indispensable et sérieusement écornée par son prédécesseur s’explique sur les négociations de mai/juin/juillet 2021 avec l’USPR et les raisons pour lesquels cet accord a été saboté. Il en va de la crédibilité de la parole politique du gouvernement.

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Avec le Comité d'Action pour l'accès légal au marché du travail des personnes sans-papiers.

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