Bloqués dans la ville ukrainienne de Soumy (au Nord-est ; à 30 kms de la frontière russe), douze étudiants congolais sont enfin parvenus à monter dans plusieurs voitures de l'exode. Ils ont actuellement réussi à passer la frontière polonaise, dénoncée pour sa négrophobie contre les civils africains... Destination finale pour neuf de ces réfugiés : Bruxelles. Leur périple dangereux à travers l'Ukraine aurait été impossible sans les efforts déployés par la Coordination congolaise, pilotée par Dido Lakama.
C'est dans la soirée du 4 mars que Ruth Shimbi, étudiante congolaise bloquée en Ukraine, apparaît pour la première fois sur Facebook. Au sein d'un Zoom organisé par la journaliste Achaïso Ambali, directrice du webmedia afro-descendant La Diaspora Chuchote (LDC), en partenariat avec La Coordination congolaise, qui regroupe plusieurs associations basées à Bruxelles. « Nous sommes précisément à Soumy », répond l'étudiante en médecine à la première question de la journaliste.
« C'est à l'Est de l'Ukraine, à proximité de la frontière avec la Russie. Du coup, on est très loin de l'Ouest où on doit être évacués » , poursuit la jeune femme. « En plus, pour être évacués de notre ville, nous devons passer par Kiev. Or, la capitale ukrainienne est attaquée et donc nous ne pouvons pas quitter. Ils ont bloqué les trains et les bus. Il n'y a aucune circulation : on est bloqués à Soumy. Alors, c'est vrai, beaucoup de gens nous ont contactés, mais jusqu'à présent [le 4 mars 2022, vers 22h40] on n'a pas trouvé de solutions... »
Activisme acharné de la Coordination congolaise
Depuis l'appel au secours de Ruth Shimbi, La Coordination congolaise, pilotée par Dido Lakama, a multiplié les efforts, appels institutionnels et particuliers pour pouvoir exfiltrer ces étudiants en danger de mort. Selon nos infos exclusives, douze étudiants congolais ont passé hier soir la frontière polonaise, sains et saufs, et sont en route pour Bruxelles. Via des voitures de particuliers financées et affrétées à distance par La Coordination congolaise.
Si ces efforts associatifs, risqués et gagnants, n'intéressent pas les médias belgo-blancs - trop occupés à multiplier les sujets autour de l'accueil belge des Ukrainiens blancs -, cet activisme belgo-congolais a été suivi par nombre d'internautes et associations afro-descendant.e.s. Pour autant, sans se départir d'un certain scepticisme, on peut aussi s'interroger sur les motivations précises de cette Coordination créée dans l'urgence. Autrement dit : pourquoi volent-ils au secours de ces étudiants au lieu de laisser les Autorités de la RDC ou même celles de Belgique s'en charger ?
« C'était notre devoir », répond le coordinateur de l'asbl Change et cheville ouvrière de La Coordination congolaise. « Ces jeunes-là auraient pu être moi », poursuit Dido Lakama. « Je suis arrivé très jeune en Belgique mais si mes parents avaient choisi de vivre en Ukraine, je serais à leur place... En même temps, l'asbl Change se bat pour que tous les êtres humains soient traités de manière égale et équitable. Notre implication envers ces étudiants épouse aussi cette lutte contre les inégalités. Nous avons reçu des dizaines de messages de détresse, des véritables cris et appels à l'aide, des appels au secours de ces jeunes gens en danger. Nous ne pouvions y rester insensibles et avons tenté d'y répondre avec nos petits moyens et en y impliquant un maximum de personnes. »
Décolonisation, égalité et dignité
Pour Dido Lakama, la persévérance de La Coordination à vouloir secourir ces étudiants en péril s'inscrit aussi «dans le contexte de notre participation aux travaux sur la décolonisation de l'espace public à Bruxelles ». « Cette solidarité que nous devons à ces étudiants découle de toutes ces années de lutte, de l'héritage que nous mobilisons en vue de changer les mentalités », ajoute l'activiste bruxellois. « C'est un travail qui n'est pas terminé et se greffe aujourd'hui sur cette question : comment peut-on traiter deux immigrants de manière différente parce que l'un nous ressemble et l'autre pas ? Change asbl se bat contre ce type d'inégalités et pour le respect de la dignité de chaque être humain. Davantage encore lorsqu'il s'agit de jeunes qui ont quitté leur pays natal pour apprendre, étudier et s'émanciper avec un diplôme. »
Très concrètement, un autre membre de Change asbl nous confie certaines des « difficultés » que La Coordination a dû surmonter pour atteindre son objectif humanitaire : « Cela fait 5 jours qu'on va dormir à 02 heures du matin et qu'on se réveille à l'aurore avec dix messages sur répondeurs... Je me souviens de celui, poignant, d'un de ces étudiants à Soumy. Traumatisé, il nous confiait sa panique des bombes qu'ils recevaient sur la tête, de cette obligation à devoir se cacher dans les sous-sols, puis à devoir en sortir tout en espérant ne pas mourir. Sa terreur le faisait dérailler et a même empêché, un temps, une certaine cohésion du groupe d'étudiants pour entreprendre la traversée de l'Ukraine. Ce qui était pourtant fondamental ! D'autant qu'ils n'avaient accès ni aux trains ni aux bus et qu'il a fallu que nous leur envoyons des voitures de particuliers qui étaient d'accord de pénétrer sur ce territoire en guerre... ».
Conférence de presse prévue ce 15 mars
Au nom de La Coordination congolaise, Dido Lakama annonce une conférence de presse, pour ce mardi 15 mars à Bruxelles, en présence de neuf des refugiés congolais. Objectif : expliquer aux médias les tenants et aboutissants de cette exfiltration « épique » mais aussi déplier les suites de l'accueil « digne et égalitaire » auquel aspirent ces réfugiés noirs d'Ukraine. Ceux-ci souhaitent notamment poursuivre leurs études supérieures en Belgique... comme les jeunes Ukrainiens blancs qui ont obtenu asile, aide et protection chez nous.