Les réfugiés africains bloqués en Ukraine par les douaniers polonais.

Cherchant à fuir les bombardements russes depuis jeudi dernier, des milliers d'étudiants d’origine africaine sont bloqués à la frontière polonaise. Pourquoi ? Parce que des gardes-frontières polonais se livrent à un tri racial, laissant entrer les réfugiés blancs mais refoulant les réfugiés noirs. Une pratique négrophobe qui laisse de marbre la majorité des médias mainstream européens dont les correspondants sur place ne disent pas un mot. Un racisme qui contraste furieusement avec les appels de l’Union européenne à ses Etats-membres pour  « accueillir et protéger » tous les réfugiés en provenance d’Ukraine...

Etudiant fraîchement diplômé, Siméon s'est filmé, dimanche, avec son téléphone portable pour lancer un appel à l'aide : « La situation que nous vivons ici en Ukraine, près de la frontière polonaise, est très, très, très difficile ! »

Tri racial à la frontière polonaise

Originaire de la Côte d'Ivoire, Siméon est sur les routes de l'exil depuis que son pays d'accueil, l'Ukraine, a été envahi et bombardé par l'armée russe de Vladimir Poutine. Et ce n'est pas faute d'avoir tenté de partir dans la période du « bruit des bottes » : « J’avais acheté mon billet d’avion pour le 1er mars pour rentrer en Côte d’ivoire », précise Siméon. Mais depuis jeudi dernier, tous les aéroports sont fermés ; Ukrainiens comme étrangers, livrés à eux-mêmes pour quitter le pays.

Arrivés à la frontière polonaise, un sordide manège attends les réfugiés non-blancs. Selon plusieurs témoignages partagés sur les réseaux sociaux, les gardes-frontières polonais procèdent à un tri racial. D'un côté, les Ukrainiens et étrangers blancs ; de l'autre, les étrangers non-blancs. Les deux groupes d'êtres humains fuyant pourtant le même pays en guerre. Feu vert pour les premiers ; feu rouge pour les seconds. « Les étrangers n’ont pas le droit de franchir la frontière polonaise, c’est-à-dire que nous allons rester ici dans le froid », poursuit Siméon avant de résumer son périple.

« De Khargiv, on a parcouru plus de 800 kms jusqu’à Louhvov, on a ensuite emprunté un bus pour 15km de route et puis, on a marché 65 kms à pied jusqu’à la frontière polonaise » , explique le jeune homme. « Mais nous n’avons pas le droit de la traverser. Pourquoi ? Parce que les Autorités de l’Union africaine n’ont pas mis en place des moyens pour accueillir ses ressortissants. Les autres personnes, les ressortissants de l’Union européenne, ont le droit de passer la frontière mais pas nous, les Africains. Voilà la situation et il fait très froid ici… Ce qu’on vous demande, c’est de nous venir en aide ».

Négrophobie déjà présente à Kiev

Plusieurs villes assiégées d'Ukraine comptent des dizaines de milliers d'étudiants africains. Ceux-ci, désormais sur les routes de l'exil, étudiaient la médecine, l'ingénierie, le tourisme ou les affaires militaires. Ensemble, Le Maroc, le Nigeria et l'Egypte comptabilisent plus de 16 000 étudiants en Ukraine.

En gare de Kiev, déjà, des milliers d’étudiants noirs ont été refoulés. Tandis que « les trains de la vie » arrivaient, les uns après les autres, seuls les Ukrainiens blancs avaient le droit d'y monter... Une mesure négrophobe justifiée par les Autorités ukrainiennes à partir d'une liste de « prioritaires ». D'abord les femmes [blanches] avec enfants [blancs], les femmes [blanches] seules, puis les garçons ou hommes [blancs], âgé de moins de 18 ans ou de plus de 60 ans. Concrètement : hommes, femmes et enfants ukrainiens s’installaient dans les trains tandis que les étudiants africains en étaient interdits sur la seule base de leur couleur de peau.

Mêmes la plupart des femmes [noires], dont certaines avec des bébés [noirs] dans les bras, n'ont pu monter dans ces trains alors qu'elles correspondaient aux catégories « prioritaires » exigées par les Autorités. « Nous avons dû pousser des femmes [africaines] dans les trains, comme ça ils n’avaient plus aucune autre option que de les laisser entrer puisqu’ils avaient dit les femmes et les enfants en premiers », a écrit un réfugié africain. Ajoutant que, lorsqu’il a lui-même tenté d’y monter, des policiers l’ont violemment expulsé aux cris de : « Seuls les Ukrainiens ont le droit d’entrer ! ».

Décision raciste et inhumaine

Selon les derniers chiffres officiels, la Pologne a accueilli près de 190.000 personnes fuyant l’Ukraine. « Depuis le début des hostilités, le 24 février, les gardes-frontières ont traité un total de 187.800 personnes à tous les points de passage avec l’Ukraine », ont confirmé dimanche les gardes-frontières polonais. Pour sa part, le Haut-Commissariat aux Réfugiés, estime le nombre total de réfugiés (dans chaque pays limitrophe) à 370.000. Un chiffre provisoire qui continue de grimper. Parmi ceux-ci, des milliers d’étudiants africains dont plusieurs sont toujours en butte à une ségrégation raciale à la frontière polono-ukrainienne.

« Désormais, la Pologne accueille les Ukrainiens avec leurs animaux, mais elle refuse toujours aux étudiants africains, bloqués en Ukraine, de pouvoir traverser sa frontière. Cette décision est raciste et inhumaine. Bizarrement, les médias n’en parlent pas », a tweeté dimanche Toure Gueladjo.

Concernant les médias mainstream belgo-blancs francophones, cet internaute vise juste. Strictement rien sur le calvaire négrophobe des étudiants africains d'Ukraine qui, depuis plusieurs jours et nuits, se gèlent à la frontière polonaise. Rien de chez rien dans le JT de RTL-TVi daté du 27 février ! Malgré deux sujets consacrés aux réfugiés d'Ukraine dont un, signé Mathieu Col, en direct de la frontière polonaise au poste-frontière de Zosin. Naïvement, l'envoyé spécial de la chaîne privée belge conclut son live en se disant « témoin d’un véritable exode mais aussi d’un mouvement d’entraide et de solidarité ». Sauf pour les citoyens noir.e.s d'Ukraine...

Rien non plus dans le JT de la RTBF du même jour. Malgré un direct de la ville frontalière polonaise de Medyka, signé Pascal Bustamente. Dans son reportage, le journaliste évoque une « grande solidarité » dans un pays qui comprend «une communauté ukrainienne d’un million de personnes» . Une Pologne qui accueille « majoritairement des femmes et des enfants - les hommes de 18 à 60 ans étant réquisitionnés pour combattre » et qui offre « des cartes Sim pour téléphone portable à tous les détenteurs d’un passeport ukrainien ». « Ici, tout est mis en œuvre pour permettre aux Ukrainiens de rejoindre un refuge plus stable. Ici, personne ne sait combien de temps le conflit va éloigner ces réfugiés de leurs foyers mais les Polonais sont prêts à les assister aussi longtemps qu’il le faudra », conclut «en toute indépendance», l'envoyé spécial de la télévision de service public.

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Double standard européen

L’Union européenne (UE) se prépare à la perspective d'accueillir des millions de réfugiés ukrainiens. « Ils pourraient être jusqu’à cinq millions selon les Nations-Unies » a répercuté dimanche la présentatrice du JT de la RTBF, Mariam Alard. Dans la foulée, Les ministres européens de l’Intérieur se sont accordés pour délivrer un statut particulier aux Ukrainiens en fuite afin que ceux-ci soient accueillis dans tous les pays-membres de l’UE.

Sans la moindre honte, celui qui était prêt à voir mourir l'été dernier des centaines de sans-papiers non-européens et grévistes de la faim, le secrétaire d’Etat à l'Asile et la Migration, Sammy Mahdi (CD&V), a déclaré au micro de la RTBF :

« Il faut savoir qu’un Ukrainien a le droit de venir sans visa, en Europe, pendant 90 jours. Après ce délai, au 91ème jour, si la personne veut rester, elle doit introduire une demande d’asile car elle n’a plus droit d’être sur le territoire européen. Nous voulons faire que, maintenant, ces personnes ne doivent plus passer par la procédure d’asile et reçoivent automatiquement, directement, une protection et elles pourront rester ici pendant un an. Le terme peut être prolongé par après. En tout cas, c’est un message clair envers le peuple ukrainien : on est solidaires, on est près d’eux et on fera tout pour les protéger ». Sauf les citoyens noir.e.s d'Ukraine...

« Fake news » , selon les Autorités polonaises

De son côté, sur Tweeter, la chancellerie du Premier ministre polonais a fustigé une « fake news », indiquant que «les réfugiés fuyant l’Ukraine, déchirée par la guerre, entrent en Pologne, quelle que soit leur nationalité ». Dans son tweet, l'Exécutif polonais ajoute que « le groupe majoritairement en besoin d’un refuge dans le pays sont les Ukrainiens, mais parmi ceux autorisés par les gardes-frontières à passer, il y a également des citoyens d’autres pays, tels que les Etats-Unis, le Nigéria, l’Inde, la Géorgie et d’autres ».

Des allégations officielles contredites par l'appel à l'aide diffusé par Siméon ; une vidéo qui s'ajoute à des dizaines d'autres témoignages virtuels d'africains subsahariens, massés à proximité de la frontière polonaise. Dans la nuit de samedi à dimanche, ces étudiants n’ont pas eu le droit d’accéder aux hôtels pour passer y dormir et n’ont reçu ni eau ni nourriture. Bref, selon qu'on soit Ukrainien ou pas, l’accueil et le traitement des réfugiés, au niveau des passages frontaliers, n’était furieusement pas le même.

« Regardez comment ils menacent de nous tirer dessus ! », s'est indigné un autre étudiant africain sur Tweeter. «Nous sommes actuellement à la frontière Ukraine-Pologne. Leur police et leur armée ont refusé de laisser passer les Africains, ils n’autorisent que les Ukrainiens. Certains ont dormi ici 2 jours sous ce froid terrible, tandis que beaucoup sont retournés à Lviv », conclut l'étudiant, en diffusant une vidéo dans laquelle des jeunes africains font face à des policiers, armes au poing, aux cris désespérés de : « We are students ! We are Students ! »

« Quel sort nous attend en Pologne ? »

Ce samedi 26 février, Amadou, étudiant sénégalais de 32 ans à Loutsk, confiait ses craintes à l'un des rares médias mainstream européens s'intéressant au sort des étudiants africains d'Ukraine : TV5Monde.

« Le problème en Pologne, c’est que beaucoup de monde cherche déjà à traverser la frontière. Nous ne savons donc pas quand nous serons autorisés à la franchir une fois sur place, et quel sort nous sera réservé", s'inquiète Amadou. "Je n’ai pas été là-bas mais j’ai entendu qu’ils nous traitent différemment et qu’ils séparent les Ukrainiens des étrangers. Ça nous fait peur, on ne sait pas quel sort nous attend en Pologne. Je veux que les autorités nous récupèrent une fois la frontière passée, qu’ils organisent notre rapatriement ou qu’ils nous trouvent un abri là-bas ».

Les appels à l'aide de Siméon, d'Amadou et tant d'autres seront-t-ils entendus par les Etats de l'Union africaine ? Ainsi que par les médias mainstream blancs pour qui, décidément, une vie blanche vaut plus qu'une vie noire.