Vendredi 12 février 2021, lors du rendu du jugement dans la partie de l’affaire liée à l’« incident de tir », le tribunal de Mons a clairement reconnu « que les parties civiles ont largement plaidé sur la manière dont les migrants ont été traités (que ce soit au moment de leur interpellation, quand les parents de Mawda n’ont pas pu monter dans l’ambulance, etc) ainsi que sur le contexte plus général du traitement des migrants par les autorités belges et européennes. Aussi légitimes que leurs questions puissent être, il n’appartient cependant pas à ce tribunal de se prononcer sur ces éléments dès lors qu’ils dépassent largement le cadre de sa saisine fixée par l’ordonnance de la saisie de la chambre du conseil qui ne concerne que le comportement des 3 prévenus lors des faits de la nuit du 17 mai 2018 ».

Même si cette déclaration demeure évasive et peu précise, elle indique toutefois clairement que le contexte des opérations de filature transfrontalière et de chasse aux migrants ainsi que le rôle des acteurs qui les organisent, dans le cas du meurtre de Mawda, restent encore à instruire.

C’est la raison pour laquelle nous plaidions, depuis juillet dernier, pour que l’affaire soit renvoyée, par la Chambre du Conseil du 08 juillet 2020, en Cour d’Assises. Si le policier qui a armé, tiré et tué Mawda est bien responsable, à titre individuel, de ce crime, comme l’a en partie reconnu le tribunal de Mons, la balle qu’il a tirée a quant à elle été extraite des opérations Medusa.

Du côté des politiques

Au lendemain du jugement du 12 février, et dans l’attente du jugement à Liège dans le volet sur la « traite des êtres humains » (24 février), nous apprenons que certaines initiatives parlementaires seraient enfin en cours afin d’ouvrir un premier périmètre d’investigation sur les circonstances politiques ayant entrainé la mort de Mawda.

Dès fin juin 2018 nous avons écrit à l’ensemble des présidents de partis tant du côté francophone que du côté néerlandophone pour faire part de notre demande de mise en place d’une commission d’enquête parlementaire au vu de ce que nous savions déjà être de faux témoignages, de faux coupables, des coalitions de fonctionnaires, etc.

Nous n’avons eu des réponses que de Défi, Groen et Ecolo qui disaient attendre la « vérité judicaire ». Les autres partis ne nous ont tout simplement jamais répondu. Depuis la fin de l’instruction, c’est-à-dire depuis juillet 2020, nous avons intensifié cette demande de commission d’enquête parlementaire, vu qu’il n’existait plus aucune supposée entrave juridique à sa mise en place (pour rappel, dans le cadre de l’affaire Dutroux la commission d’enquête parlementaire a eu lieu en même temps que l’instruction, un peu à l’instar des enquêtes du Comité P). Mais les parlementaires, tous partis confondus, ont préféré attendre le rendu du jugement.

Nous apprenons par le dernier article de Michel Bouffioux (12 février 2021) qu’une proposition à l’initiative du PTB serait en cours de dépôt, en tout cas a-t-elle été publiée dès le surlendemain du rendu du jugement sur le leur site. Cette proposition ne semble pas en l’état constituer une majorité, ni même être portée par d’autres partis. Ecolo avait déjà préalablement, en avril 2020, demandé à ce qu’une enquête complémentaire du Comité P soit également mise en place pour éclaircir les faits. Ecolo avait également demandé à cette occasion que le Comité P entame une enquête de contrôle sur les circonstances du décès du jeune Adil.

Enfin de son côté, le sp.a entend poser un certain nombre de questions nécessaires au ministre de l’Intérieur sur les méthodes utilisées lors des opération de filature (opération Hermès/Pèche-Melba entre autre) ainsi que sur l’échange d’information entre services de police. En effet, ce cadre judicaire et politique doit être interrogé car d’autres tragédies ont eu lieu dans des circonstances similaires comme celle de l’Essex (39 migrants vietnamiens furent retrouvés morts dans un camion frigorifique, près de Londres, alors qu’ils avaient séjourné à Anderlecht pendant quelques jours en connaissance de cause des polices néerlandaise et belge).

Initiatives dispersées

Nous avons quelque peu l’impression d’assister à un ensemble d’initiatives dispersées. Nous craignons que cet éparpillement n’empêche la construction d’une majorité parlementaire ! Nous avec besoin d’un travail parlementaire approfondi concernant le cadre des opérations de chasse et de filature des migrants et de leurs impacts sur les opérations de police. L’affaire Mawda n’est qu’une petite fenêtre par laquelle ce cadre gouvernemental à la fois politique, policier et judicaire a pu être problématisé et perçu dans ses conséquences criminelles. Pour un travail parlementaire sérieux, nous avons a minima besoin de savoir quelles ont été les différentes directives à l’égard de la police des autoroutes, des chemins de fer, des aéroports, des ports, etc. édictées par les différents ministres de l’Intérieur : Jan Jambon, Pieter De Crem, Annelies Verlinden.

Nous avons besoin que se mettent en place des pouvoirs d’instruction pour enquêter sur les autres cas de morts suspectes durant des opérations de chasse aux migrants ou de filature. Nous avons besoin d’entendre les médecins, pédiatres, urgentistes tout comme nous avons besoin d’entendre les policiers qui ont communiqué de fausses informations sur l’origine du décès de Mawda.

Besoin d'entendre les procureurs et les experts

Nous avons besoin d’une enquête spécifique sur les multiples coalitions de fonctionnaires qui ont eu lieu en amont des auditions par le comité P et après, notamment sur les tentatives d’influencer des témoins. Nous avons besoin que soit entendu le magistrat de garde ainsi que les procureurs du roi de Tournai et de Mons pour qu’ils s’expliquent sur la façon dont ils ont engagé l’enquête.

Nous avons besoin d’entendre les procureurs de Gand et de Dunkerque sur cette opération de démantèlement d’une filière de passage kurde vers l’Angleterre, sur les méthodes utilisées, sur l’arrestation du chef présumé de cette filière deux jours plus tôt à Dunkerque et sur les tentatives de scinder l’affaire.

Nous avons également besoin d’entendre un certain nombre d’experts : criminologues, telle Fabienne Brion, et sociologues pour qualifier cette logique de prohibition de la migration (« crimigration ») et questionner les effets et le sens de la lutte contre le « trafic d’êtres humains » ; personnes qui ont enquêté en profondeur comme le journaliste Michel Bouffioux ainsi qu’activistes comme celles du Refugee Women’s Centre pour leur une expertise quotidienne de l’effet de ces politiques de criminalisation sur les graves mises en danger des migrants. Cela nécessitera une alliance forte des forces progressistes, loin des guerres partisanes. Une telle enquête en profondeur est indispensable pour parvenir à démanteler les dispositifs nécropolitiques de guerre aux migrants qui rendent leur vie proprement invivable en Belgique comme en France.

Au-delà de l'affaire Mawda, ça continue...

Nous n’avons pas le droit d’échouer car des morts il y en a déjà eu depuis l’assassinat de Mawda et ils sont de plus en plus nombreux aujourd’hui qui, migrants, n’ont plus d’autres choix que de traverser la Manche sur des embarcations de fortune. Le Comité Mawda – Vérité et Justice, le Groupe Montois de soutien aux Sans-papiers ainsi que le Refugee Women’s Centre se tiennent prêts en vue d’alimenter ce processus d’enquête et aideront à la constitution d’une majorité parlementaire (notamment, par exemple, via un jeudi de l’hémicycle consacré à cette question).  

Comité Mawda – Justice et Vérité, Groupe Montois de Soutien aux Sans-papiers, Refugee Women’s Centre  

Publication : Anas Amara, militant décolonial

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