Dans la nuit de jeudi, Cité24 a appris le décès de Rachid Zegzaoui, victime d'une crise cardiaque à l'âge de 53 ans. Cet observateur et blogueur de la vie politique bruxelloise pilotait la page Facebook "Saint-Josse News". Sur laquelle venaient s'informer journalistes et politiciens bruxellois.

S'il fallait retenir 4 mots du passage, ici-bas, de Rachid Zegzaoui, je choisirais ceux-ci : "Justice", "franc-parler", "courage" et "liberté". Comme pour beaucoup d'entre-Nous, Rachid était un ami. Et c'est la raison pour laquelle j'abandonnerai ici l'habituelle distance journalistique. Dans l'hommage qui va suivre, j'appellerai Rachid par son prénom. Comme le font les amis dans la vie.

Engagement citoyen

Bruxellois dans l'âme, Rachid est né, a vécu et s'est éteint à Saint-Josse-Ten-Noode. Sa commune de coeur et d'action politico-journalistique. Passionné par la gestion de la cité et la chose publique, Rachid va d'abord, successivement, intégrer ou se rapprocher de partis politiques dits "de gauche" (PS, Ecolo) mais il les quittera tous. Principalement écoeuré par la duplicité, l'hypocrisie et le racisme qui règnent en maître dans les cuisines de toute formation politique bruxelloise.

En 2009, il co-fonde le parti Egalité Sans Guillemets (ESG). Ce nom est un détournement partiel d'une expression raciste médiatisée, quelques années auparavant, par feue Anne-Marie Lizin (PS) : "Les Belges entre guillemets". Euphémisme belgo-blanc pour désigner les Belges qui auraient "le tort" de n'avoir ni la peau blanche ni des parents de culture chrétienne. Egalité Sans Guillemets présente une liste aux élections régionales 2009 et récolte un succès d'estime. L'autre co-fondateur, Nordine Saïdi, bouleversé par le décès de Rachid, se souvient : "Je nous revois du côté de la gare du midi, avec notre thé et bissara, à lister nos priorités politiques, construire notre autonomie, trouver un nom (merci, Anne-Marie Lizin !), trouver des personnes qui voudraient, oseraient, se présenter sur de futures listes. Je nous revois faire campagne ou, pour être plus juste, faire ou subir la guerre face aux partis traditionnels et même, ou surtout, face à la gauche blanche."

Sur son profil facebook, Nordine Saïdi ajoute, au présent : "Rachid, c'est ce grand frère que j'ai rencontré il y a plus de 10 ans et qui a participé à ce que je suis aujourd'hui. C'est avec "Rachid Z" que mon engagement politique a pris naissance. Rachid Z, c'est le premier blogueur politique de ce pays. Fin connaisseur, expert, critique de la politique bruxelloise, Rachid, c'est surtout un homme intègre, de convictions, un frère comme on en a peu...".

Saint-Josse News

Après des années d'implication tous azimuts à travers Bruxelles, Rachid se replie sur Saint-Josse. En créant et alimentant, en 2014, une page Facebook titrée "Saint-Josse News". L'interface virtuelle regroupe désormais plus de 4000 abonnés et attire quotidiennement politiciens et journalistes locaux venus s'informer. Trouver l'angle, l'enjeu ou la polémique autour de sujets que débusquait Rachid via ses multiples sources et connexions. Consommer petites et grandes nouvelles, telle que, par exemple en 2021, les soupçons de fraude du conseiller communal de Saint-Josse Safa Akyol (PS).

La Dernière Heure, La Capitale et Bruzz saluent très sobrement sa disparition. Certains de leurs journalistes savent pourtant ce qu'ils lui doivent de son vivant, sans l'avoir jamais reconnu ou cité. Seule exception, un portrait signé Julien Semninckx, publié en 2019 dans Vlan ; ce gratuit bruxellois souvent méprisé à tort par la presse mainstream. "La page Facebook Saint-Josse News s’est récemment fait le relais (images à l’appui) du manque d’entrain des policiers à réagir aux actes de vandalisme, pourtant annoncés, dans les carrés de prostitution de la commune durant la nuit de la Saint-Sylvestre", écrit le journaliste du Vlan.

Pour notre confrère, Saint-Josse News "dérange et compte près de 3000 membres officiellement inscrits. Sans compter ceux qui la consultent régulièrement sans y être abonnés." Puis, il donne la parole à Rachid : « J’y diffuse une dizaine d’informations par semaine, propres ou émanant de bonnes sources. En tenant compte que j’assiste régulièrement aux conseils communaux et diverses réunions que je relaie, cela me prend facilement un mi-temps. Mais je fais cela par plaisir ». Un plaisir bénévole pas forcément partagé, renvoie l'intervieweur. « J’ai fait l’objet d’intimidations, surtout au début, mais pas de menaces personnelles. Je ne vise pas spécifiquement Emir Kir, je ferais cela dans n’importe quelle commune. Pour son malheur, j’habite Saint-Josse-Ten-Noode », concluait Rachid.

Sur Saint-Josse News, désormais orpheline, Julien Semninckx a posté ceci : "J'avais évoqué son extraordinaire page facebook qu'il alimentait régulièrement d'infos exclusives sur sa commune de coeur : un travail journalistique minutieux, craint et respecté des politiques locaux [...] Maudite crise cardiaque ! Tu brises d'autres coeurs !"

Un chroniqueur politique

Comme souvent, au sujet des acteurs et actrices afro-descendants de Bruxelles, c'est le média néerlandophone Bruzz qui médiatise, post mortem, l'apport journalistique de Rachid : "Blogueur et fondateur de la page Facebook Saint-Josse News, Rachid Zegzaoui était une importante source d'information locale dans la municipalité." Et Bruzz de citer un extrait du post d'Ahmed El Khannouss (CDH), conseiller communal à Molenbeek, à la mémoire de Rachid : "Il ne laissait personne indifférent par son engagement journalistique citoyen. Tantôt faisant grincer des dents, tantôt applaudi pour son engagement..."

A mes yeux, Rachid était avant tout un chroniqueur ou un éditorialiste politique. S'il n'était né de parents marocains, dans cette ville de Bruxelles - "pro-diversité" sur le papier mais structurellement raciste de l'école à l'emploi en passant par les médias -, Rachid aurait pu s'exprimer et vivre de ses talents dans un média mainstream anglo-saxon. Anyway. Il ne s'est pas découragé et s'est investi avec succès dans le journalisme de proximité. Il y a deux semaines, l'homme se disait prêt à rejoindre notre équipe de Cité24 ; à l'alimenter en infos exclusives bruxelloises dès la rentrée de septembre... Rachid n'en aura pas eu le temps.

Cérémonie d'enterrement rapide

Ses funérailles ont eu lieu ce 9 juillet, de façon précipitée, dans le Cimetière multiconfessionnel d'Evere. Comme d'autres, je regrette de n'avoir pu y participer. Heureusement, l'un de ses meilleurs amis et partenaires professionnels, Duran Kadir, était présent. Il a pris des photos ainsi que réaliser une vidéo. Pour Duran, Rachid était "un grand homme, parti avec ses secrets. Un homme, issu d'une famille de neuf enfants, qui a quitté la terre. Son coeur a lâché ; le nôtre est brisé. La Belgique a perdu un journaliste qui n'avait pas froid aux yeux. Aimé par certains politiciens et détesté par d'autres, Rachid était un homme juste, doux, solide et courageux ; un intervieweur hors-pair avec un coeur d'or. Rachid restera toujours vivant parmi nous."

Pour ma part, je veux retenir deux moments avec Rachid. Le premier se déroule en 2016. Je le croise, par hasard, près du Botanique. Cinq ou sept ans qu'on ne s'était plus vus. Si je n'avais plus de cheveux, les siens étaient devenus blancs. Lorsque je lui ai dit être en pause du journalisme et travailler à mi-temps au service Prévention de Saint-Josse, il m'a souri. "Je comprends, il faut que tu gagnes ta vie et c'est pas avec le journalisme que tu vas le faire", enchaîne-t-il. "Mais ce sera très difficile pour toi d'évoluer dans ce panier de crabes communal". Il avait raison. Avec deux ans d'avance. La protection récurrente de dysfonctionnements, passe-droits et autres magouilles me feront quitter la commune la plus pauvre de Belgique, cornaquée, depuis bientôt 10 ans, par le bourgmestre Emir Kir. Juste avant que ce dernier, se croyant "intouchable" aux yeux de ses patrons blancs, ne se fasse exclure du PS sur la base d'un énième prétexte turcophobe.

Le second souvenir survient trois ans plus tard. Lorsque je figurais en quatrième place sur la liste Be One aux élections régionales 2019. En campagne électorale, je suis invité par Bruxelles Korner, le webmédia fondé par Duran Kadir, pour répondre à son "intervieweur de choc", Rachid Zegzaoui. A priori, un ami qui en interviewe un autre, cela relève d'une demi-comédie que j'aurais préféré éviter. Pourtant, pas une question de Rachid ne fût complaisante. La lumière rouge allumée, j'ai été bluffé par son ton, si doux, pour amener sa question spicy sinon dérangeante. J'ai été très impressionné par sa rigueur et sa précision de vieux routier à la CBS. Affable mais sans caresses. Juste et précis. Courtois et pugnace. Intelligent et profond.

Bref, c'était "Rachid Z".

"Un précurseur de beaucoup de nos combats d'aujourd'hui", estime Nordine Saïdi. Nous aussi.

Allah y rahmo. Repose en paix, camarade.