Cela fait 50 jours que 470 sans-papiers poursuivent une grève de la faim à Bruxelles. Pour être régularisés et respectés comme des citoyens à parts entières. L'intransigeance gouvernementale les conduit tout droit vers le drame. Or, dans le dossier Asile et migration, jamais une grève de la faim n'a débouché sur une perte en vies humaines. La coalition Vivaldi tient-elle à inscrire ce fait macabre à son futur bilan politique ? Tout l'indique.

Depuis le 23 mai, 470 sans-papiers ont cessé de s'alimenter. Ils et elles occupent les réfectoires de deux campus universitaires (ULB et VUB) et l'église du Béguinage. Pour, au minimum, obtenir un titre de séjour, au maximum, une régularisation collective. Radicalisé depuis les conséquences socio-économiques catastrophiques liées à la gestion de la crise sanitaire, ce mouvement est piloté par l'USPR (Union des Sans-Papiers pour la Régularisation). Un syndicat de fait face auquel le gouvernement demeure inflexible. Sachant parfaitement qu'entre 50 et 70 jours de grève de la faim consécutifs, les cas mortels peuvent surgir à n'importe quel moment...

A l'évidence, il s'agit d'une situation de détresse absolue. Celle d'hommes et de femmes qui n'ont plus d'autres moyens que de mettre leur vie en péril pour s'arracher à leur sous-citoyenneté et leur esclavage moderne. Mais le gouvernement belge n'en a cure, persiste et signe dans son intransigeance. Pour de nauséabonds motifs électoraux et par volonté paternaliste de "punir" - jusqu'à la mort ? - des centaines "d'étrangers" coupables de n'avoir pas "suivi la procédure". Cette politique de fermeté inhumaine, ce néofascisme à peine maquillé, possède un visage bronzé. Celui de Sammy Mahdi (CD&V), secrétaire d'Etat à l'Asile et aux Migrations.

Aucun compromis possible

Quel que soit le média dans lequel il est interviewé, Sammy Mahdi rejoue son disque rayé. Avec, parfois, un semblant de larme à l'oeil et, souvent, un sourire froid et carnassier. Quasi celui de Georges-Louis Bouchez (MR). Ce sourire du trentenaire satisfait chez qui l'arrivisme et l'égoïsme ont tout ravagé à l'intérieur. Sollicité par le quotidien français Libération, Mahdi justifie son frein à main tiré sur le dossier des sans-papiers : "Je suis allé les voir à la VUB. J’ai discuté avec certains de leurs représentants. Je pense qu’il est important de bien informer toutes les personnes de la manière dont on mène une politique migratoire qui est correcte à mon sens".

Du Macron ou du Sarkozy, en belge néerlandophone d'origine ikakienne. A l'instar de son slogan affiché sur sa photo de couverture Facebook : " Toujours positionné, habituellement nuancé" ... Nuancé ? Sauf lorsqu'il s'agit d'être humains résolus à mourir, après 10 ou 20 ans d'exploitation et de traitements dégradants, afin que "quelque chose" change à leur situation invivable.

Interdire l'Europe à vie aux "illégaux"

Même Théo Francken, que les jeunes du parti Ecolo avaient eu la bonne idée de rhabiller en soldat SS, applaudit Sammy Mahdi des bancs de l'opposition. "À chaque nouveau gouvernement, il y a un test. C’est le lobby des frontières ouvertes, le PTB. Déjà avec Maggie De Block, Wathelet, moi et Mahdi maintenant. Ce sera pareil avec le prochain gouvernement si on conserve ce modèle de migration complètement caduc.", a déclaré Francken à nos confrères de La Dernière Heure. Selon le national-séparatiste de la N-VA, l'actuelle répression gouvernementale des sans-papiers ne va pas assez loin : "Toute personne qui entre illégalement en Europe doit perdre la possibilité d'y venir à vie".

Et le néofaf de tenter de nous tirer une larme sur l'obstination irresponsable de Mahdi : "Il ne peut pas faire autrement. Sinon, il se fait tuer symboliquement, en Flandre. Idéologiquement, ce n’est pas facile pour des conservateurs d’être dans un gouvernement si progressiste. La Vivaldi est dominée par les verts, par le PS, qui sont super-naïfs, super-progressistes."

Le pseudo-rempart contre l'extrême-droite

On l'observe depuis des mois, aucun des partis membres de la coalition Vivaldi (VLD, MR, CD&V, PS, Vooruit, Ecolo et Groen) ne veut mettre en danger leur "merveilleuse" coalition sur le dossier des sans-papiers. Selon Bernard Demonty, journaliste au Soir - et relayeur de fake news sur l'ex-commissaire de gouvernement Ishane Houach -, les partis dits "progressistes" du gouvernement fédéral - PS et Ecolo - partagent avec leurs collègues "une crainte de faire le moindre cadeau à l’extrême-droite.".

Et le journaliste de décrire l'état d'esprit - inefficace sur le terrain - de la coalition Vivaldi : "Depuis les dernières élections, le Vlaams Belang n’a cessé de monter dans les sondages, dopé par la venue d’un gouvernement de centre-droit dans une Flandre qui a voté à droite et à l’extrême-droite, dopé par les mécontents de la gestion de la pandémie, et par l’antipolitisme ambiant. Le gouvernement d'Alexander De Croo s’est justement constitué en dernier rempart contre une extrême-droite dont il craint qu’elle devienne majoritaire avec la N-VA, avec un risque pour la survie du pays. D’où cette réserve sur la question migratoire, et une approche très restrictive côté flamand."

Bref, avec Sammy Mahdi, le tirailleur irakien de la Vivaldi, rien ne changera positivement pour les sans-papiers grévistes. Tant vantée comme une terre de compromis et d'ingénierie sociale, la Belgique démontre, au contraire, notamment sur cette affaire, que le néofascisme est déjà au pouvoir. Nul besoin d'attendre la future victoire électorale du Vlaams Belang au nord du pays : VLD, CD&V, Vooruit et MR font déjà le sale boulot. En clamant, tels des Chamberlain et des Daladier, qu'ils "combattent" l'extrême-droite. En se montrant aussi inflexibles, inhumains et racistes qu'elle, ils imaginent pouvoir inverser la courbe montante du Belang. Autre disque rayé, jamais démontré dans les faits. Une escroquerie politicienne longue de plus de quatre décennies....

40 ans à courir derrière le néofascisme

Dans ce pays, on aime oublier que ce sont des partis démocratiques qui ont décidé et fait construire la première prison pour étrangers en séjour irrégulier. Plus connue sous l'euphémisme de "centre fermé". Cinq autres centres fermés ont ensuite vu le jour, toujours décidés et concrétisés par ces mêmes partis démocratiques. L'extrême-droite flamande hurlait ; les démocrates, flamands et francophones, exécutaient. Comme galvanisés d'appliquer l'une des principales revendications du programme du Vlaams Blok de 1977...

Depuis, derrière un cordon sanitaire transpercé, le néofascisme flamand (Vlaams Belang et partis nationalistes) a toujours dicté sa politique raciste aux autres partis. Dont la seule "stratégie" de défense consiste à gagner du temps, en recyclant ou reprenant certaines mesures des néofafs. Plus de 40 ans que ce cirque politicien perdure. 40 ans qu'il n'est d'aucune efficacité contre l'ascension du Belang et la consolidation du racisme structurel.

Politique humaniste : où es-tu ?

Reprenant son bâton de pèlerin, Zoubida Jellab, Echevine de la Propreté publique et des Espaces verts à Bruxelles-ville, rappelle que, parmi les sans-papiers grévistes, "certain.e.s sont dans notre pays en famille et enfants scolarisés depuis 10, 15 et 20 ans. Ils/elles travaillent dans des conditions difficiles, sont exploité.e.s et surexploité.e.s par des employeurs sans scrupules, capables de les gratifier de 3,5 € de l'heure. Ni congés, ni week-ends, ni répit, ni couverture sociale. Ils travaillent au cœur de nos quartiers, dans les cuisines de nos restaurants, nettoient nos bureaux, travaillent sur les chantiers de construction".

Sur son son profil Facebook, l'échevine bruxelloise poursuit : "La crainte d’une expulsion les empêche de revendiquer de meilleures conditions de travail et de dénoncer toute maltraitance, harcèlement. Fermer les yeux sur la présence de près de 150.000 personnes sans droits sur notre territoire n’est pas une option courageuse, démocratique et humaine. Elles/ils sont les premières victimes de ce monde globalisé, du désordre économique, de dictateurs véreux, de politiques d’asile et migration frileuses voire lâches.

Zoubida Jellab s'adresse ensuite à celles et ceux, si nombreux, qui adorent criminaliser les sans-papiers : "Ne soyons pas hypocrites, ne pas régulariser, c'est aussi jeter de nombreux jeunes dans la délinquance, violences et drogues dures. Nos villes et communes en payent quotidiennement le prix fort pour maintenir sécurité et cohabitation dans les quartiers. Les victimes se sont d’abord celles et ceux qui vivent dans la clandestinité et en décrochage de notre société. Nous vivons un époque oú les capitaux et les marchandises circulent plus facilement que les humains. Il est de notre responsabilité d’appeler á la régularisation de ces personnes qui souhaitent simplement retrouver leur dignité d’humain.e, travailler et contribuer à une société plus accueillante et fraternelle."

Enfin, comme le colibri face à l'incendie, l'écologiste conclut sur cette responsabilité, politique et citoyenne : "N’attendons pas le premier décès pour nous indigner. Un décès pourrait faire basculer notre société dans plus de radicalité et de haine."