Dispositif policier Bruxelles - photo : Campagne Stop Répression

Ce mercredi 19 janvier à 8h30, une dizaine de personnes se réunissaient devant le tribunal de Bruxelles. Ils venaient y soutenir la famille de Fouad Assabbab, franco-marocain né en Belgique refoulé vers la Turquie. Ils réclamaient un visa de retour pour le jeune homme.

À la fin août 2021, Fouad Assabbab partait en vacances à Bodrum, en Turquie, accompagné de sa mère. À leur retour à l'aéroport de Bruxelles-Zaventem le 7 septembre, la police aéroportuaire les arrête et les emmène au centre fermé de Caricole. Le jeune homme est ensuite refoulé vers la Turquie le 16 octobre.

Incapable de produire une preuve de sa nationalité, il est arrêté à Zaventem

Fouad Assabbab, 20 ans, est un jeune homme né à Saint-Josse de parents français d'origine marocaine. Il travaille à Bruxelles. L'été dernier, il offrait à sa mère deux semaines de vacances en Turquie. Voyageant avec leurs passeports marocains, ils ne disposaient pas de preuve de leur nationalité française.

Fouad et sa mère sont titulaires d’une carte européenne, carte E+ attestant de la permanence du séjour. Arrêtés à leur arrivée de Turquie, pays considéré comme un refuge de fabrication du terrorisme par les États islamophobes, Fouad et sa mère furent aussitôt contrôlés et questionnés sur les conditions d'obtention de leurs titres de séjour. Ces contrôles, s'apparentant à un tri racial, sont de nature très éprouvante pour quiconque les subit ; toute vulnérabilité étant exacerbée par le climat anxiogène des modes de questionnement posés par la police, Fouad, présentant des troubles mentaux, fut mis en incapacité de proposer des réponses précises et situées.

La police aéroportuaire de Zaventem, estimant ce titre insuffisant à justifier l’accès au territoire en l’absence de preuves supplémentaires de leur nationalité française, a de sa propre initiative retiré son titre de séjour à Fouad. Les autorités françaises se disent incapables de vérifier l'authenticité du titre de séjour présenté par la mère de Fouad, toutes les archives antérieures à 1993 ayant été détruites. Ce dernier, quant à lui, avait été enregistré à sa naissance à la commune de Saint-Josse, et non au consulat français. Ce qui explique que l'État français n'a pas connaissance de sa nationalité. Ils ont été envoyés tout deux en centre fermé à Caricole. 

Incarcéré au centre fermé 127bis

La mère, ayant contracté le Covid-19, a été libérée après avoir passé un mois en détention. Et ce malgré qu'elle avait des enfants mineurs à la maison. Le jeune homme de 20 ans, quant à lui, a été transféré au centre fermé 127bis. Le personnel du centre lui a proposé un premier vol vers la Turquie. Ce dernier, n'ayant aucun lien avec l'État du Proche-Orient si ce n'est ses récentes vacances, avait refusé.

Lorsqu'un deuxième vol lui a été proposé, celui-ci n'a pas été en mesure de le refuser à nouveau. Sa soeur avait pourtant appelé le centre fermé pour expliquer la situation. Il est malgré tout refoulé le 16 octobre vers la Turquie.

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Renvoyé seul vers la Turquie

Depuis, Fouad est bloqué à Istanbul, avec pour tout document son passeport marocain. Il ne parle ni la langue locale ni l'anglais. Sa famille se dit très inquiète pour lui. Les coûts liés à son hébergement sur place sont considérables, entre 850 et 1000 euros par mois, que sa famille peine à assumer toute seule. Pour soutenir la famille de Fouad, vous pouvez faire un don sur leur financement participatif.

L'Etat belge se dit non-compétent

"L'accès au territoire ne constitue pas un droit subjectif", précise l'avocat de la défense. La juge, quant à elle, rappelle que l'Office des Étrangers n'est pas habilité à délivrer un visa sans qu'une demande officielle n'ait été produite. L’avocat chargé de couvrir la première partie de la séquence n’a quant à lui entamé aucune requête pour contester la décision de refoulement prise à l’encontre de Fouad. La famille a décidé de porter plainte contre cet avocat devant le bâtonnier. 

Maître Benkhelifa, qui a par la suite repris le dossier, a plaidé une violation des art. 3 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, alertant le parquet sur la dégradation psychique du refoulé et sa situation de dépendance envers sa famille. La cour oppose que l'État belge n'est pas compétent pour apprécier une violation de droits de l'homme dans un État tiers. "De l'autre côté de la barre, on ne fait que du droit d'un point vue technique", déplore l'avocate de la famille. "Mais on ne fait pas que de la technique, on essaie de parvenir à une justice".

Les frontières raciales dans la pratique de l'OE

Or, il s’agit bien ici de technique, et de comprendre les rouages de la politique d’immigration belge et de tri racial. L’histoire de Fouad n'est pas sans rappeler celle de Junior Wasso, ressortissant congolais qui, en octobre dernier, s'était vu refuser son entrée sur le territoire belge, malgré un visa étudiant en ordre et une inscription à l'UCL. Arrivé à l’aéroport de Zaventem, ce dernier avait été arrêté par la police aéroportuaire, justifiant un soupçon quant à la possible usurpation de ce visa étudiant. La nouvelle avait alors suscité l’indignation et l’incompréhension. Pourtant, l’Office des Étrangers, dans ses démarches d’annulation, et, par la suite, de détention en centre fermé du jeune ressortissant congolais, était dans son plein droit, respectant entièrement le cadre légal qui encadre sa pratique. Preuve en sont les déclarations sur le sujet du secrétaire d’ État à l’asile et à l’immigration Sammy Mahdi, qui avait alors défendu la pratique de son administration. 

Le cas de Fouad et de sa mère est paradigmatique de cette ligne de frontière permanente qui accompagne les populations arabes et noires, même lorsque celles-ci sont titulaires des titres requis. Dans un contexte large de démantèlement de filières, les polices aéroportuaires s’attribuent les compétences sommaires  de suspicion de certaines populations racialement situées. Faux et usage de faux, suspicion de participation à des filières de passage et/ou terroristes : les polices aéroportuaires vont dans certaines situations jusqu’à remettre en cause la citoyenneté totale des personnes visées par ces contrôles. Ce déficit de citoyenneté est la corollaire directe d'une politique islamophobe portant pour cible des grilles de population congédiées comme vecteur intérieur d'une menace plus générale et subissant par là même une plastique technique toujours plus avenante lorsqu'il s'agit de refouler des sujets a priori inassimilables.

Témoignage de la famille de Fouad, sur le plateau de Cité24.