Frères, sœurs, parents, militant.e.s, pris par la fécondité imaginative de la mise à mort policière, réunissons-nous aujourd’hui afin de réimplémenter la mémoire bafouée de ces Héros sans gloire.

Lamine, Mawda, Semira, Ibrahima, Mehdi, des noms, des histoires, des espoirs, des désirs pulvérisés par une rencontre qui d’ordinaire, lorsque la pensée-vivante de l’ordinaire nous est permise, conduit à l’inaliénable sentiment de protection.

Protégés, bon nombre d’entre-vous le sont, cependant cet affect de la sûreté a un coût et des conséquences.

En effet, assistant, depuis 1492 à des expériences de morbidité rénovant la vie, nous/vous sommes/êtes restés héritiers .ères et plénipotentiaires d’une charge historique du bios par le nécros.

Descendants/Descendant.e.s pour beaucoup par reproduction bio-coloniale, vous avez charge de subvenir aux besoins alimentaires du machinisme policier mutilant, rudoyant, calcinant, les défuntes reliques mémorielles de nos aïeux.

Nous, prolongateurs d’un temps de lutte porté par une dignité de la terre spoliée, sortons des sentiers battus de l’appareillage policier à partir d’un geste unitaire d’éradication de la probabilité de mort par le racisme.

Le racisme comme déterminant commun œuvrant à la vulnérabilité structurelle à la jouissance de soi, agence les instances primaires d’un déterminisme des récits sous le joug policier.

C’est ainsi que l’un des modèles de terrassement des coordonnées de jouissance du soi-autres abrège le territoire de violation du corps à l’état de sujet-laboratoire d’expérience technique.

Si ce n’est pas la mort radicale, c’est la mort lente dans une antre intermédiaire de la violence dévorante, raciste institutionnelle qui écroue les corps dans une nature-culture de l’inexistence partielle.

Il est question par cette logique d’emprisonnement fongible, de pulvériser le potentiel victorieux du sujet, réduit à la fonction de pantin sensible, dont l’éternelle destinée serait d’enchaîner et de détourner la culture de la violence d’état et d’ainsi en préserver le Peuple-sujets.

Les sujets-minorés soumis au ventre affamé de la domination policière seraient ainsi désincarnés dans leur rapport à la violabilité. Ils subiraient par cet effet les chaînes d’une double procédure de déshumanisation les crucifiant dans une région nouvelle de la géographie du non-être.

Culminer vers une nouvelle région de la géographie du non-être signifie se faire arracher de l’ordre du sensible, produisant une inhumanisation permettant de museler la faculté d’éprouver la réalisation physique et historico-organique de la dignité.

La « stupeur naturelle », dont G. Deleuze, motivait la nécessité pour engendrer tout acte de penser, démontre la profonde violation dont nous sommes actuellement les victimes principales. En effet, incapable d’instruire un contrat d’occupation dans notre rapport à la violence, nous serions irréductiblement astreints au devoir d’apparition de l’indignité comme séquence d’irréalisation métaphysique de la dignité.

Nous serions ainsi par l’action démiurgique de l’européanité moderniste, réduit à l’état de déchu trans-historique dont la valeur éthique résulterait de l’impureté profonde.

L’éloquente relation d’impureté dans laquelle nous sommes incinérés en tant que sujets-minorés, produit des effets dans l’habitacle structurel de la violence policière.

En effet, lorsqu’il est fait mention d’un assassinat ardemment exécuté, la police reste seul maître des images avec l’appui des parquets. L’expérimentation politique de contre-conduite nous pousse à maintenir une déviance existentielle vis à vis du champs de fabrication de la fiction policière.

Presse, procureurs, juges d’instruction, tous impliqués dans cette amnésie des premières minutes, des premiers agissements, des premières défigurations sur lesquelles l’instruction va se nouer et sur laquelle les reconstitutions vont avoir lieu.

Les récits policiers étouffent les circonstances factuelles de l’instruction et surdéterminent toujours les avancées de l’instruction. La dénonciation des mensonges policiers, pour nécessaire qu’elle soit, ne fabrique jamais la vérité juridique.

C’est à ce première effet que cet appel se situe. Le premier acte vers la vie serait de se redresser contre la dignité indigne, c’est à dire celle dont nous sommes les récipiendaires par ascendance. Le second acte d’écrire la non-vie et les derniers instants avant et après la mise à mort.

Portés par un pessimisme du réalisme organisé, nous aimerions inciter une réflexion autour d’une réapparition singulière de posture du champs périphérique portant assistance aux familles.

En effet, il est de notre devoir de maintenir l’expérience politique autonome des familles en tant qu’organismes experts, sans jamais confondre nos positions.

Cependant, il est de notre devoir second d’ériger les conditions de participation actives de la société civile minorée dans les fondations directionnelles des dossiers. En effet, construire un parti civil puissamment doté, permettra sur un temps long, d’écarteler le régiment performant du racisme pénal.

Ainsi, en élargissant le spectre de problématisation des affaires, nous participerons par cette politique collective de l’engagement à rétablir des lignes de vérité déconstruites par des connivences démultipliées entre parquets, procureurs et polices.

Comme le rappel avec sagacité M.Van der Elst, nous nous devons de refuser l’attente du rendu des jugements comme si la justice devait rester cette boîte noire de laquelle nous attendrions passivement la vérité.

Au contraire, tous dans ces meurtres d’État montrent (des premières déclarations mensongères du parquet, à l'inversion des responsabilités, à l’asymétrie dans la distribution des peines par le parquet, en passant par les coalitions de fonctionnaires ) combien elle dépend de la manière dont des dispositifs d’enquête se rendent capables de qualifier des faits ou au contraire d’évacuer des éléments prioritaires.

Encore plus, dans le cadre de crimes policiers nous n’avons eu de cesse de montrer comment la vérité judiciaire est une fabrique de l’impunité.

C’est par cette reconnaissance d’une préfigure de la parole véridique que nous aimerions fournir des éléments permettant d’éprouver la dignité située à l’aune d’un contre-champs dans l’appropriation politique des assassinats policiers.

Dès lors, nous nous engagerons dans cette tentative d’éprouver la dignité dans une formulation d’un carnet de revendication situant les perspectives et enjeux qui nous paraissent primordiaux :

  • Exigence de démantèlement des opérations Medusa et des « chasses à l’homme » comme mesure prioritaire pour instaurer des voies sûres de migration.
  • Exigence, par une commission d’enquête parlementaire ad hoc — que l’ensemble des partis politiques s’échinent à ne pas exiger — la mise à jour des responsabilités politiques dans la mort de la petite Mawda.
  • Abolition des politiques racistes et meurtrières des frontières de l’UE et de la Belgique en démantelant Frontex et en réformant en profondeur la politique migratoire européenne (notamment par l’abolition du cadre Dublin transformé qui ne fera qu’accentuer les expulsions).
  • Imposer le démantèlement des formes de violences policières par tous les moyens techniques et politiques nécessaires.
  • En finir avec l’impunité des crimes policiers.
  • Installation des récépissés.
  • Installation d’une structure indépendante de prise en charge ou d’accompagnement des familles.
  • Régularisation des personnes sans-papiers résidant en Belgique à la fois comme mesure d’accès aux soins de santé, au travail, à la sécurité sociale, au droit au logement, etc. mais également comme mesure de réparation post-coloniale dans le cadre de la commission « Vérité et Réconciliation ».

Anas Amara

Militant décolonial

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